Autour d'elles est un manga de
TORINO Shino, une autrice encore inédite en France, que l'on découvre avec la sortie de ce titre. Prépubliée au Japon dans le magazine
Feel Young des éditions
Shōdensha tant affectionné par l'éditeur, la série compte déjà deux tomes disponibles chez les éditions
Akata.
Synopsis :
A la faculté, Michiru et Maya étaient en couple. Mais la vie les a séparées… Cinq ans après la disparition de Michiru, la jeune femme refait son apparition. Elle est depuis devenue mère célibataire. Les deux femmes, toujours attachées l’une à l’autre, décident de vivre à nouveau ensemble. Mais pas question de redevenir « concubines » : elles veulent rester de simples colocatrices… Commence alors un nouveau quotidien pour Maya, Michiru et Yûta, son fils, entre vie professionnelle, affective et éducation.
-Akata-
Dès les premières pages, le récit m'a conquise : c'est frais, mignon et très doux. On plonge dans la vie de cette famille plutôt atypique, et c'est une plongée plus que réussie. Le petit Yûta nous attendrit et nous touche, si bien qu'on a l'impression de voir défiler les jours à leurs côtés en vivant avec eux ce quotidien entre rires, maladresses et bonne dose d'affection.
Cependant, il se cache là-dessous un autre aspect du manga, que l'autrice parvient à doser avec beaucoup de maîtrise dans son scénario et à mettre en scène de façon pertinente dans ses planches.
TORINO Shino a en effet choisi d'aborder des thématiques profondes au fur et à mesure qu'elle développe le passé des trois adultes et que s'étale devant nous le détail des liens qui se sont tissés entre eux. Si tous semblent "aller bien" en apparence, il en va autrement en réalité : solitude, peur de l'abandon et de blesser ceux qu'on aime, pression sociale, deuil, dépression peut-être ; le tout forme un cercle vicieux qui risque de les entraîner toujours plus profond. La mangaka personnifie presque ces émotions au travers de ses dessins, faisant rapidement changer l'ambiance, nous transmettant toute leur lourdeur et nous démontrant ainsi l'originalité de son trait. D'après les personnages, rien n'est éternel, et surtout pas le bonheur... Malgré cet état d'esprit, le manga parvient à ne pas glisser dans la négativité, n'en devient pas pesant et réussit à rester une lecture presque feel-good malgré la gravité des thèmes abordés.
Au delà de ces thématiques, le manga questionne notre conception de la famille, de la parentalité, du foyer, de l'amour, et des relations humaines plus globalement. L'homosexualité, qu'elle soit entre femmes ou entre hommes, semble se poser de façon naturelle et discrète ; elle fait partie du scénario comme elle fait partie de la vie et n'est pas le sujet central du manga, c'est pourquoi je ne m'y attarderai pas plus que ça. Ici, on nous présente trois adultes aux personnalités et relations intéressantes, et si le début du premier tome peut créer quelques aprioris sur leur développement à venir, celui-ci ne fera finalement que gagner en profondeur et en pertinence au fil du récit.
Et c'est Michiru qui semble être, en quelque sorte, le centre de ces relations. La jeune mère célibataire, se comportant plus comme une adolescente que comme une adulte prête à élever un enfant, est en recherche perpétuelle de stabilité pour elle et son fils. Elle comble son vide émotionnel en tentant de trouver amour et attention auprès des autres, quels qu'ils soient. Le trait de
TORINO Shino met parfaitement en valeur son charme un peu particulier, tandis que son côté un peu comique et son sens des priorités questionnable finissent de nous séduire. Elle apparaît comme le portrait réaliste et très humain des mères célibataires dans sa situation ; ses angoisses nous atteignent, son ambition de devenir plus autonome et responsable nous touche, sa relation ambigüe avec Maya nous semble complexe et profonde, et surtout on s'attache très vite à son air un peu enfantin et très expressif.
Maya et Nico font aussi l'objet d'un développement cohérent, distillé au fil de révélations sur leur passé ou sur la façon dont ils vivent leur situation actuelle. Tandis que l'une contraste avec Michiru de par son caractère beaucoup plus adulte, mûrie par les blessures sentimentales de son passé, le second est plutôt du genre à être très attentionné et affectif envers Yûta, pour des raisons que je vous laisserai découvrir... Plus globalement, tous les personnages, et notamment les personnages secondaires masculins, ont leur importance et sont bien intégrés au récit, complexifiant encore la toile des liens qui les relient tous entre eux. Mais la question qui ressort de ce tableau, et qui guidera certainement la suite de la série, est le sens vers lequel tout ce petit monde va souhaiter faire évoluer ces relations, avancer les uns vers les autres, avancer sur eux-mêmes, tout en assurant à Yûta un environnement sain dans lequel grandir.
And last but not least, le trait de
TORINO Shino est un véritable régal pour les yeux. La fraîcheur qui émane des dessins du jeune Yûta ou de sa mère s'entrecroise avec des passages tantôt nostalgiques, tantôt lourds de sens, le tout mis en scène de façon subtile, poétique, et collant parfaitement à l'ambiance du scénario. Elle nous offre des planches toujours très artistiques et à la mise en page originale et travaillée, et on sent que la sincérité ne fait jamais défaut à son travail. La mangaka sait faire varier les ambiances, parvient à ajouter un peu de poésie dans les détails les plus anodins, et son talent nous conquiert vite. Les visages des personnages sont très expressifs, de façon presque exagérée parfois afin de mieux faire ressortir leurs sentiments, tout comme le côté mignon de Yûta qui est vraiment poussé jusqu'au bout. C'est sûrement ce côté peu conforme du style graphique de l'autrice (qui a d'ailleurs été, rappelons-le, l'assistante de
UMINO Chica), associé à l'aura douce qui en émane, qui fait tout le charme du manga.
Autour d'elles se pose donc comme un tableau familial et social chaleureux et très sincère, loin de tout cliché, et surtout bourré d'amour. Si les désillusions de la vie d'adulte sont autant d'événements qui parsèment le scénario et permettent, en fond, d'aborder des thématiques profondes et très actuelles, l'affection que les personnages -et les lecteur·ices- portent à Yûta, et le petit garçon lui-même par son innocence et sa bouille irrésistible, compensent la part sombre du tableau. Honnêtement, on a rapidement besoin de lire la suite tant on y est plongés : pas vraiment pour le suspens, mais parce que cette famille peu banale nous manque presque ! Rendez-vous en novembre pour découvrir le 3e tome chez les éditions
Akata.