Se déroulant trois siècles après les événements de
Ghost of Tsushima,
Ghost of Yōtei transporte le joueur sur l’île d’Ezo — l’actuelle Hokkaidō — au cœur du XVIIᵉ siècle. Développé par
Sucker Punch et exclusif à la
PlayStation 5, ce nouvel opus prolonge la vision du Japon féodal chère au studio américain, tout en explorant une époque et une région encore rarement mises en avant dans le jeu vidéo.
Le joueur y incarne
Atsu, une jeune femme laissée pour morte seize ans plus tôt lors du massacre de sa famille. Revenue d’entre les ombres, elle n’a désormais qu’un seul but : traquer et éliminer
les Six de Yōtei, les responsables de sa tragédie. Une quête de vengeance aux accents de tragédie japonaise, portée par une mise en scène soignée et un sens du détail qui fait honneur à la culture nippone.
Le jeu s’ouvre sur une chasse initiatique : la traque du premier membre du groupe, surnommé
le Serpent. Cette séquence fait office de tutoriel, où l’on apprend les bases du combat dans un cadre déjà très cinématographique. Sitôt cette introduction terminée, le titre nous dévoile son vaste monde ouvert, dominé par la silhouette majestueuse du
mont Yōtei, véritable phare visuel qui accompagnera toute l’aventure. Une entrée en matière soignée, qui nous mène naturellement vers notre ancienne maison désormais en ruine, destinée à devenir le refuge de notre héroïne.
C’est dans ce lieu chargé de souvenirs qu’Atsu pourra revivre certains moments clés de son enfance : de petites
saynètes où l’on croise ses parents ou son frère, parfois même disséminées à l’extérieur. Ces fragments de mémoire humanisent le personnage et apportent une respiration bienvenue entre deux explorations.
Rapidement, le jeu introduit quelques activités annexes, à la fois simples et poétiques : la coupe de bambous dans un mini-jeu rythmique ou encore la pratique du
shamisen via le pavé tactile de la DualSense. Une façon habile de mêler mécaniques interactives et culture japonaise traditionnelle.
Vient ensuite la quête principale : rassembler des informations sur les Six de Yōtei. Cette recherche se fait avec une étonnante fluidité. Le système de guidage, subtilement intégré sous la forme du
vent qui souffle vers l’objectif, invite à la découverte plutôt qu’à la contrainte. En chemin vers la première auberge, censée fournir des pistes, on se laisse facilement happer par le monde alentour : sanctuaires cachés,
sources chaudes, points de vue pour dessiner, zones de coupe de bambous… tout est pensé pour encourager l’exploration libre, sans repères intrusifs à l’écran.
Un
oiseau doré peut même vous guider vers un lieu d’intérêt que vous auriez ignoré. On peut aussi acheter des
cartes révélant de nouveaux sites, puis tenter de les situer soi-même sur la carte principale. Et c’est souvent au détour d’un combat, d’une rencontre ou d’une quête secondaire que de nouvelles informations sur les Six émergent, renforçant l’impression d’un monde vivant et cohérent.
Au fil du voyage, Atsu croise deux factions : le peuple
aïnou, avec lequel elle entretient des relations amicales et commerçantes, et le
clan Matsumae, bras armé du shogun sur l’île d’Ezo, en guerre contre les Six de Yōtei. Ces interactions donnent de la profondeur au récit et aux enjeux politiques de la région.
Quand la nuit tombe, Atsu peut établir un campement dans certains endroits. On y
allume un feu, on cuisine en interagissant avec la DualSense, et parfois, un voyageur de passage vient échanger, livrer des informations ou marchander. Ces moments de calme permettent aussi de jouer une mélodie au shamisen avant de se reposer, offrant une parenthèse contemplative dans une aventure où chaque geste compte.
Chaque membre des Six de Yōtei correspond à une région distincte, avec son identité visuelle propre et ses quêtes secondaires. Cette structure donne au jeu un vrai souffle d’aventure, même si elle rappelle un schéma déjà bien connu. À cela s’ajoutent les contrats de primes, offrant argent, armes et éléments de personnalisation — un classique efficace, bien qu’un peu convenu.
Le gameplay, lui, assume pleinement son héritage. Difficile de ne pas penser à
Ghost of Tsushima, dont il reprend l’essentiel des mécaniques : exploration libre, duels tendus et direction du vent comme guide invisible. Mais le jeu parvient à s’en distinguer grâce à une idée forte :
l’introduction de la louve.
À un moment clé du récit, Atsu gagne la possibilité de combattre aux côtés d’une louve, ou de l’invoquer en pleine bataille. L’animal dispose de ses propres compétences, que l’on débloque en libérant ses congénères dispersés dans le monde. Cette relation donne une belle dynamique aux affrontements et crée une vraie complicité entre la protagoniste et son alliée. Et à deux, il ne sera pas de trop pour affronter l’armée des Six de Yōtei.
Les combats se distinguent par leur
violence sèche et leur
tension constante. La possibilité d’être désarmé en plein duel ajoute une dimension tactique bienvenue : chaque erreur se paie cher, surtout face aux adversaires les plus redoutables. En contrepartie, Atsu peut activer la jauge du
Hurlement de l’Onryō, une capacité spéciale qui se déclenche après plusieurs éliminations consécutives sans blessure. Son activation effraie les ennemis les plus faibles, qui reculent ou s’enfuient en panique. Ces moments où le joueur avance, sabre au clair, tandis que ses adversaires trébuchent de peur, procurent une vraie sensation de puissance, presque cinématographique.
Côté personnalisation, le titre ne fait pas les choses à moitié. Atsu peut modifier son apparence, sa tenue et même la selle de son cheval. Mieux encore, les couleurs des vêtements, des armes et des équipements peuvent être ajustées pour créer un style unique. Un détail certes cosmétique, mais qui renforce l’attachement au personnage et la dimension contemplative de l’aventure.
Sur le plan visuel, le jeu impressionne. Les paysages d’Ezo s’étendent à perte de vue, baignés dans une lumière changeante magnifiée par un
cycle jour/nuit et des
conditions météo dynamiques d’une beauté saisissante. La pluie, la brume ou la neige participent pleinement à l’ambiance, au point que certains panoramas semblent tout droit sortis d’une carte postale. La direction artistique, sans révolutionner le genre, frappe par sa justesse et son sens du détail.
Les amateurs de mise en scène trouveront aussi leur bonheur avec trois filtres visuels aux inspirations cinématographiques. Le
mode Akira Kurosawa, déjà culte, fait son retour avec son noir et blanc granuleux et ses contrastes marqués. À cela s’ajoute le
mode Takashi Miike, inédit, qui opte pour une caméra plus proche du sol, un rendu plus brut, maculé de sang et de boue — un hommage évident au cinéma de sabre viscéral. Enfin, le
mode Shinchirō Watanabe surprend agréablement avec sa bande-son lo-fi et ses teintes feutrées, donnant à certaines scènes une atmosphère presque contemplative, entre calme et mélancolie.
Techniquement, le jeu propose deux options : un
mode Performance, tournant à 60 images par seconde avec quelques concessions visuelles, et un
mode Qualité, bloqué à 30 fps mais bénéficiant de tous les effets graphiques et d’un rendu plus riche. Le choix dépendra donc de vos priorités : fluidité ou immersion. Dans les deux cas, le moteur tourne avec une étonnante stabilité, et le résultat force le respect.
Au terme de ce voyage à travers l’île d’Ezo, difficile de ne pas être marqué par la force évocatrice du jeu. Malgré une
quête de vengeance un peu convenue et un scénario qui manque parfois de nuances, l’expérience parvient à captiver grâce à son
atmosphère envoûtante et à son
sens de l’exploration. Les combats, nerveux et précis, procurent une véritable montée d’adrénaline, tandis que la réalisation artistique sublime chaque recoin de ce Japon méconnu.
On ressent à chaque instant le
respect des développeurs pour la culture japonaise, notamment dans la façon délicate dont ils abordent le peuple aïnou, rarement mis en avant dans le jeu vidéo. La
musique, entre tension dramatique et sérénité mélancolique, accompagne à merveille nos pérégrinations dans ces paysages d’une beauté rare.
Sans révolutionner la formule, le titre s’impose comme
une ode au cinéma japonais de samouraïs, un jeu d’action-aventure à la fois poétique et brutal, qui respire la passion et l’authenticité. Pour peu qu’on se laisse emporter par son rythme contemplatif, c’est un voyage inoubliable — et incontestablement
l’un des grands incontournables du genre.