Attention, cette chronique porte sur une œuvre destinée à un public averti car elle contient des scènes particulièrement violentes ou sexuellement explicites.
Synopsis :
Apollon, hétérosexuel et en plein processus de divorce, est engagé dans un établissement de prostitution masculine du nom de Shangri-La. Son travail est de faire naître le désir chez les prostitués avant que ceux-ci n'aillent satisfaire le client. Afin d'être formé à son rôle, il est confié à Fee, l'un des prostitués ; mais si Apollon est habitué aux femmes, caresser des hommes pour la première fois s'avère compliqué. D'autant que Fee n'a de cesse de tenter de le séduire…
Apollon parviendra-t-il à s'habituer à son nouveau job ?
-Boy's Love-
Ce lundi, on se plonge dans le début de la plus récente série de
ZARIYA Ranmaru (
Coyote,
VOID,
Liquor & Cigarette...), sorti en début d'année aux éditions
Boy's Love :
L'oiseau de Shangri-La ! J'ai personnellement tendance à apprécier chaque nouvelle œuvre de cette mangaka qui arrive en France. Et je pense que ce titre peut être une bonne surprise pour tout le monde, même les personnes dont ce n'est pas le genre de lectures boy's love habituelles. Il a en effet bien plus à nous offrir que sa couverture sensuelle et son synopsis suggérant un scénario effacé et au service des scènes de sexe. Ce premier tome a su me conquérir par son ambiance comme son développement, sans parler du trait de l'autrice que j'affectionne toujours autant !
Quel bonheur de retrouver le trait de la très talentueuse
ZARIYA Ranmaru ! Les personnages comme les décors sont tout aussi splendides que dans ses précédents mangas. Le trait est clair, mâture et assuré, le découpage est très bien réalisé et les angles de vue bien exploités afin de mettre parfaitement en valeur ces hommes tous très charismatiques. Si l'on apprécie sans mal les visages, les regards et surtout le dessin des corps, c'est pourtant l'impressionnant travail des décors qui terminera de nous conquérir. Demeure richement décorée, jardin tropical luxuriant et couchers de soleil font baigner ce début de série dans une ambiance chaleureuse. La mangaka met en scène un véritable paradis sur terre d'une délicatesse presque onirique, où tout n'est que plaisir, et nous plonge sans aucun mal dans cet univers de luxe... et de luxure.
Car il ne faut pas l'oublier : Shangri-La est un établissement de prostitution masculine, ce qui en dit tout de même beaucoup sur le contenu du manga. Cependant, loin des traditionnelles maisons closes ancrées dans un univers sombre voire cruel, celle-ci n'a pas pour but de faire du profit. Le patron s'avère déjà bien assez riche et gère le Shangri-La par plaisir, tout en prenant grand soin d'apporter bien-être et respect aux prostitués, ses "oiseaux", qui ne sont d'ailleurs en aucun cas forcés à être travailleurs du sexe. Rajoutez à ça un tri des clients sur le volet pour s'assurer qu'ils seront tous parfaitement bienveillants envers les oiseaux, et la présence "d'étalons" chargés de mettre ceux-ci dans un état d'esprit propice à satisfaire le client par de l'affection et des caresses, et vous obtenez ainsi le portrait de cet établissement surréaliste et fantasmé qu'est le Shangri-La. Ainsi, on nous présente en même temps qu'à Apollon ses règles aussi claires que surprenantes : le cadre idéal et les excellentes conditions de travail des oiseaux donnent presque l'impression qu'ils sont sans cesse en vacances tant ils vivent une vie insouciante et si raffinée qu'elle en paraît irréelle. On nous dépeint donc une vision très idéalisée et surprenamment bienveillante de la prostitution et du proxénétisme... et ce n'est pas fini.
Comme on pouvait l'attendre de
ZARIYA Ranmaru, les scènes de sexe sont très érotiques et pleines de sensualité, alors même qu'il s'agit ici de travail du sexe et pas de relations entre partenaires. Les corps nous font presque autant rêver que l'île paradisiaque, et s'entremêlent sans pudeur mais toujours avec délicatesse, sans donner un air exagéré aux relations. Ces scènes collent parfaitement à l'ambiance du manga et renforcent mon impression globale : la mangaka met en scène
un véritable fantasme, un monde idyllique dans lequel on se plonge et en lequel on veut croire. Cependant, on regrette d'avoir entre les mains un manga en version censurée, choix qui se comprend difficilement étant donné le type de récit qu'on nous propose.
Et c'est dans cet environnement très bien amené qu'évolueront nos deux protagonistes : Apollon, nouvel étalon hétéro en instance de divorce et dont le prénom n'a d'égal que le physique, et Fee, oiseau au passé plus sombre que ce que son tempérament aguicheur veut bien laisser paraître. Assigné exclusivement à Fee pour apprendre sa nouvelle profession, Apollon se montrera aussi prévenant que peu assuré étant donné sa totale absence de connaissances au sujet des relations homosexuelles. Nos personnages se découvrent tous les deux au même rythme que nous les découvrons aussi, et commencent à s'attacher l'un à l'autre comme on s'attache également à eux. Si leur relation reste pour l'instant complexe à définir, elle est aussi intéressante à suivre qu'attendrissante : on ressent à la fois une bonne dose de maturité et un grand besoin d'être aimé pour l'un, et d'aimer pour l'autre, alors que tous deux semblent ne plus croire en l'amour. En parallèle de cette évolution encore floue mais transmise au rythme d'une narration fluide et bien maîtrisée, s'amorcent tout un tas de questionnements au sujet du passé des personnages. En portant à notre connaissance le passé des deux hommes à travers des indices astucieusement disséminés comme des révélations claires (plutôt au sujet d'Apollon), l'autrice révèle un contraste marquant entre le cadre paradisiaque et la tourmente psychologique des personnages, bien cachée par celui-ci. Tous ces mystères mis en place judicieusement, presque à la façon d'un thriller, ne peuvent que renforcer notre envie de lire le tome suivant !
ZARIYA Ranmaru nous offre donc avec
L'oiseau de Shangri-La un premier tome aussi sensuel que raffiné, aussi intéressant graphiquement que scénaristiquement, et qui m'a surprise par sa bienveillance et sa profondeur pour un récit se déroulant dans une maison close. La mangaka construit la toile de son récit aussi habilement qu'elle nous le narre, et l'on se retrouve captivé par les événements comme par son indéniable talent de dessinatrice qui, je le pense, saura en conquérir plus d'un. Conclusion : si vous aimez les boy's love, lisez les oeuvres de
ZARIYA Ranmaru, ne passez pas à côté de cette autrice, et encore moins de cette nouvelle série à fort potentiel !