Synopsis :
Japon, ère Taisho. Tamako est l’unique héritière de sa famille. Pour assurer sa lignée, elle doit vite se marier. Mais quand elle s’éprend de Terashima, médecin de bas rang, ce sont toutes les conventions sociales qui volent en éclat. Doit-elle se conformer aux exigences de la bienséance ou se laisser aller à ses désirs ? Quel avenir pour cet amour interdit à une époque où la pression sociale et les apparences ne laissaient pas de place à la liberté ?
-Akata-
Lors de sa sortie,
Sous la Lune de Taisho avait capté mon attention grâce à une couverture tout en délicatesse, à l'opposé d'un synopsis qui nous laisse entrevoir le poids de la pression sociale que subissent les deux amoureux. Plongeons ensemble dans ce one-shot de
EBIRA Hiromi sorti à la fin de l'été chez les éditions
Akata !
Même sans connaître le contexte historique de l'ère Taisho, on comprend aisément dès les premières pages du manga que l'histoire se déroulera une société autoritaire, classiste et patriarcale. Le côté dramatique et sociétal du manga est très bien développé, les deux personnages étant enfermés dans un système qui les écrase, les empêche de vivre et leur amour, et la vie qu'ils auraient aimé avoir. L'une simple outil de reproduction, l'autre obligé de réussir dans son travail au vu de la famille paysanne dont ils vient, ils se retrouvent dans une situation douloureuse dont ils ne sont pas maîtres, puisque le destin de chacun est déterminé par son genre et son milieu social. Comme le résume le docteur à sa jeune patiente, "
Je crois que votre cœur crie le désespoir que votre rang fait peser sur vous". Commence alors le récit d'une émancipation qui se fera pour et par l'amour, brisant toutes les conventions et donnant à nos personnages l'occasion de prendre un nouveau départ, dont la suite sera laissée à notre interprétation.
Tamako fascine, certes par la beauté froide des traits par lesquels l'autrice a choisi de lui donner vie, mais surtout par sa très grande maturité et sa capacité à rester forte malgré toutes les épreuves qu'elle subit. Alors que j'avais peur de trouver une jeune fille chétive et soumise en ouvrant ce tome, j'ai fait la connaissance d'une femme qui, malgré sa santé, est beaucoup plus solide et sûre d'elle qu'on ne le croit au premier abord. Elle a su attendre avec beaucoup de patience le moment opportun pour s'émanciper radicalement de sa vie de fille d'aristocrate lors d'une scène très marquante. Le personnage du docteur Terashima est, certes, bien amené et joue un rôle clé dans le développement de l'histoire. Néanmoins, je l'ai plus ressenti comme étant le moteur permettant à Tamako d'avancer, la
prestance de cette dernière captant toute mon attention et donnant régulièrement l'impression d'éclipser le docteur de son rôle de personnage principal. À mon sens, cette œuvre aurait mérité un second tome pour que l'on puisse réellement prendre le temps d'apprendre à connaître les protagonistes.
Si vous cherchez une histoire d'amour mature et posée,
Sous la Lune de Taisho ne pourra que vous plaire. La romance impossible est un schéma classique mais qui survient très naturellement dans ce one-shot, et que l'autrice utilise avec brio dans le but de pointer du doigt le carcan social qui oppresse les personnages. Cependant, je trouve que durant la majeure partie du tome, la relation du futur couple est trop froide et distante pour que l'on commence à s'attacher à eux. Heureusement, plus l'histoire avance et plus les deux amoureux nous sont présentés comme un "tout" indissociable et fusionnel, l'histoire du couple nous touchant de plus en plus et nous permettant de passer, au final, un très bon moment devant ce one-shot sur le plan romantique.
Côté intensité émotionnelle, le manga reste très sobre, peu expressif, et c'est ce qui fait le charme de son ambiance. Ici, pas besoin de visages larmoyants ou passionnés : la sobriété et la simplicité d'un regard qui en dit long suffit à retranscrire les sentiments de ces personnages calmes et raisonnables. Peu de choses sont explicites, dans les émotions comme dans les dialogues. Beaucoup de non-dits pèsent sur la relation naissante, en plus du poids que chacun d'eux porte au quotidien, l'une étant femme, l'autre étant issu d'une classe sociale très inférieure à celle dans laquelle il s'est hissé.
Sous la Lune de Taisho est indéniablement une oeuvre artistique, bien loin du trait habituel des mangas shōjos, et de laquelle on sent émaner une esthétique poétique très japonaise. Le côté historique du manga est bien visible dans le travail des décors, à travers les bâtiments, et le tout crée une ambiance d'époque dans laquelle on plonge avec plaisir, d'autant plus que l'on a rarement l'occasion de voir éditer des mangas se déroulant lors de l'ère Taisho. Chaque planche est sublime, les personnages sont aussi élégants que délicats, et le trait fin et épuré d'
EBIRA Hiromi réussit à nous surprendre jusqu'à la dernière page.
L'autrice nous donne donc l'occasion d'observer son art à travers un tableau sociétal magnifique et dénonciateur, dans un style traditionnel nous rappelant presque celui des estampes japonaises.