Attention, cette chronique porte sur une œuvre destinée à un public averti car elle contient des scènes particulièrement violentes ou sexuellement explicites.
Synopsis :
Considéré comme déviant, Makoto est ostracisé depuis longtemps à cause de ses étranges penchants. Un jour, il tombe sur un grimoire contenant un sort d'invocation démoniaque. En l'utilisant, il ne s'attendait toutefois pas à voir apparaître J, archiduc des enfers. Le superbe démon, impressionné, lui accorde alors un vœu en échange de son âme. Mais il est encore plus étonné quand le lycéen lui fait une requête des plus inattendues : il veut manger sa chair et ses entrailles ! Makoto pensait sombrer dans le repos éternel une fois son souhait exaucé, mais J semble avoir d'autres projets pour lui...
-Taifu-
L'ambiance malsaine se ressent dès les premières pages, autant à travers le trait particulier et précis de l'autrice, qu'à travers une toile de fond tout aussi particulière qui s'installe peu à peu. En découvrent le héros, Mako, on comprend tout de suite que ce sera lui le véritable démon tant que l'on se trouvera dans le monde humain. Torturé par ses envies cannibales, il s'est toujours retenu de faire du mal à des humains et a préféré invoquer un démon pour obtenir ce qu'il voulait : le manger vivant pendant un acte sexuel. Mako avait conscience des contradictions de ses envies, et a préféré dévorer avant qu'elles ne le dévorent. Ce personnage nous est présenté dans toute sa fragilité face à ses fantasmes dérangés, à la fois aux commandes et à la merci du démon qui lui permet de les réaliser.
Bien que l'ambiance du manga soit très sombre, l'autrice parvient à glisser quelques touches d'humour qui ajoutent un peu de légèreté à une oeuvre assez lourde de par ses thèmes et ses représentations gores. En plus de cela, les expressions des personnages ne sauraient être plus dérangeantes : ce n'est pas seulement sexuel, pas seulement sadique, c'est profondément et intensément inhumain.
Malgré quelques fautes dans la traduction et des choix de termes douteux comme "inclinations" pour parler des penchants cannibales du héros, l'ambiance nous happe et nous tient en haleine tout du long.
SUZURI Ryō réussit à créer un véritable univers diabolique régit par ses propres lois, peuplé de créatures de toutes formes et possédant tous les vices. Son sens du détail la pousse à nous montrer diverses relations sexuelles entre démons, dont les dessins sont parfois si étranges qu'il est complexe de distinguer qui fait quoi et qui est dévoré, déchiré, percé par qui. L'utilisation de créatures fantastique lui permet de mettre en scène des ébats sexuels qui s'affranchissent des limites physiques humaines.
Ces images ne sauraient représenter la qualité du trait de l'autrice, mais la plupart des pages ne sont malheureusement pas montrables sur le site.
Malgré l'univers fantastique, on ne peut s'empêcher de faire la parallèle avec la société humaine. Les démons vivent, ressentent, pleurent, et peut-être aiment-ils parfois. Dans leur société très hiérarchisée, les relations de pouvoir se jouent par les mots. Certains dirigent tandis que d'autre vivent malgré eux en tant que prostitués personnels au service de démons supérieurs et, à la longue, s'habituent à toutes les horreurs. C'est ce que Fjord veut faire comprendre à notre héros lors d'un passage qui se veut émouvant, suite au viol organisé qui a pour but de "dépuceler" Mako.
Face à tous ces événements presque aussi choquants pour Mako que pour nous, il se montre finalement être un héros plus solide que ce qu'il laisse paraître. Plus ou moins décrit comme un sociopathe au début du tome, il nous est ensuite suggéré qu'il était un jeune garçon sensible, choqué mais franc pendant la majeure partie de sa nouvelle vie aux enfers. Mais celui-ci semble finalement avoir vite compris les règles du jeu et parvient à mettre de côté ses émotions. Il progresse à vitesse fulgurante dans cette société maléfique qui ne laisse aucune place à la pitié ni à l'hésitation. Ce retournement de schéma du personnage ne peut que nous surprendre. Lui qui clamait en face de J son dégoût envers le démon qu'on le force à devenir, voit finalement son côté calculateur et avide de pouvoir ressortir naturellement. Comme prévu en début de tome, l'élève dépassera et dévorera le maître.
MADK nous dérange et nous questionne, nous lecteurs et lectrices, sur le niveau de malsanité de ce que l'on est capable de lire voire d'apprécier. L'autrice définie elle-même son manga comme "complètement barré" et c'est tout à fait l'impression qui en ressort. Bien qu'ayant réservé une soirée entière à la lecture ce titre, je n'ai jamais eu à faire autant de pauses durant un tome, regardant dans le vide et réfléchissant pour tenter de digérer ce qu'il venait de se passer.
Mais c'était vain : cette oeuvre ne se digère pas, elle se dévore d'une traite. Où se situe la limite entre l'horreur et la poésie du dessin de ces corps meurtris et satisfaits ?
MADK est donc un manga à la fois magnifique et violemment repoussant, explorant sans limites les fantasmes les plus tordus de l'esprit humain, alors que nous, lectrices et lecteurs, naviguons entre plaisir et dégoût...