Attention, cette chronique porte sur une œuvre destinée à un public averti car elle contient des scènes particulièrement violentes ou sexuellement explicites.
Passions Refrénées est un one-shot yaoi de
NAGI Wataru paru à la fin du moins de juillet dernier chez les éditions
Boy's Love. Ce titre avait valu à son autrice la 15e place de la catégorie Jeunes Talents lors de l'édition 2018 des Chil Chil BL Awards, et étant donné son synopsis, j'étais curieuse de le découvrir lorsqu'il a été annoncé en France.
Synopsis :
Kurama Wakamiya est un étudiant en charge de la création des costumes pour le club de théâtre. Cependant, il a un grand secret : il cache à tout le monde qu'il est gay. Il se masturbe tous les jours en pensant à Kirishima, un garçon à l'aura mystérieuse d'un an plus jeune à qui il n'a même jamais adressé la parole. Ce dernier, fils d'un grand fabricant de tissus, est membre provisoire du même cercle.
Lors du camp organisé par le club, Kurama s'enfuit d'une soirée sexuelle en groupe et plonge dans la mer pour se calmer, suivi par Kirishima croyant qu'il veut se suicider... Les rouages de leur histoire tumultueuse se mettent alors en mouvement...!
Le trait de
NAGI Wataru n'a à première vue rien d'exceptionnel, mais semble toutefois bien maîtrisé. On remarque quelques regards intenses et évocateurs, les corps sont bien tracés et les expressions restent toujours convaincantes. Le chara-design des personnages ne fait pas particulièrement dans l'originalité non plus. En bref, les dessins sont d'une qualité tout à fait correcte et s'accordent bien à l'ambiance des différentes scènes, sans pour autant s'avérer être le point fort du manga ni nous faire nous attarder sur les planches plus que ça, même si certaines sont plus travaillées que d'autres et que l'autrice utilise quelques métaphores intéressantes.
Les personnages, eux, sont déjà plus intéressants. J'ai rapidement accroché au début du scénario, bien que celui-ci soit très classique : un jeune étudiant gay qui cherche tant bien que mal à réfréner son orientation sexuelle, mais est attiré malgré lui par l'un de ses camarades "hétéros" du club de théâtre. Homosexualité secrète et difficile à vivre, envies refoulées qui le rongent... Si la formule n'a rien d'originale en soi, l'autrice a su l'exploiter correctement durant toute la première partie du tome. Elle est parvenue à installer une tension sentimentale et sexuelle intéressante entre les deux protagonistes, nous faisant entrevoir une limite assez floue entre fantasme et réalité, dans laquelle les personnages se perdent.
Au-delà de ça,
NAGI Wataru introduit également la psychologie de ses personnages de façon tout à fait convaincante. Le rapport de Kurama à son travail de costumier, dans lequel il se plonge corps et âme pour échapper aux problèmes auxquels il ne veut pas faire face, ou bien encore la façon dont il a fait de la mer sa
safe place, sonnent juste et font de lui un personnage auquel on parvient à s'attacher. Kirishima, de son côté, semble bénéficier de moins de développement que son partenaire, et a surtout un comportement de moins en moins cohérent et réaliste au fil de la lecture...
Et c'est bien là le principal reproche que je peux faire à
Passions Refrénées : si le début m'a convaincue, la suite m'a en revanche très vite lassée. Ainsi, la première scène de sexe m'a énormément déçue : finalement pas consentie, celle-ci s'avère être loin de combler nos attentes, de notre point de vue comme de celui de Kurama. Vu comme le personnage principal l'a finalement ressenti, et malgré toutes les contradictions que ce genre de situation implique, on reste à la limite de la scène de viol. La suite n'en sera pas plus brillante : sans trop en dévoiler, une bonne partie du scénario s'avère finalement beaucoup plus sombre que ce qu'on pouvait imaginer, et la conclusion se fait certes dans l'amour mais reste à mon goût trop légère comparé à tout ce qui vient de se passer, ce qui ne relève pas vraiment le niveau...
Cependant,
NAGI Wataru est parvenue à agréablement me surprendre par le traitement qu'elle fait de l'homophobie dans son manga. En effet, elle a fait le choix de faire du père de son personnage principal, Kurama, un politicien conservateur fermement opposé au mariage gay. Le jeune couturier sera tout de même contraint de faire son
coming out à celui-ci, qui mettra son fils à la porte. S'en suit alors beaucoup d'homophobie intériorisée, de rejet de soi, et surtout un mal-être profond qui ne lâchera pas Kurama d'une semelle tout au long de ce tome. Le thème de la légalisation du mariage gay et des débats politiques autour de celle-ci revient discrètement au fil du récit, témoin également de l'évolution des personnages quant à leur acception de soi-même, ou des autres.
Les personnages secondaires, surtout présents pour faire avancer le scénario, nous paraissent presque plus originaux que le couple principal. Chose assez rare pour être notée, la présence d'un personnage a priori trans (Chôko, la grande soeur de Kirishima), ainsi que d'un couple de femmes lesbiennes en toute fin de tome ; c'est peu de choses certes, mais je ne m'attendais pas à trouver un peu de représentation LGBTQ+ dans ce genre de manga boy's love, ce qui fait toujours plaisir. Je tiens cependant à préciser mes réserves quant aux choix de mots de l'autrice / aux choix de traduction concernant Chôko, qui ternissent un peu la présence de cette actrice haute en couleur et me font grandement appréhender la façon dont le sujet sera traité dans
Lost Virgin, le spin-off de
Passions Refrénées qui vient tout juste de paraître en France chez
Boy's Love.
La conclusion de ce tome essaie de porter un message sur l'acception de soi et de ses véritables sentiments ; message qui passe tant bien que mal après ce tome très mouvementé, dont les événements à l'allure parfois peu morale et les réactions à peine réalistes des personnages altèrent fortement, dans le fond comme dans la forme, ce que
NAGI Wataru tente de nous transmettre. C'est donc un bilan mitigé pour ce titre dont le début était attrayant et les graphismes tout à fait corrects, mais qui n'a pas su tenir la pertinence de son scénario sur la durée, malgré des personnages intéressants qu'on voit évoluer en essayant de trouver le bonheur au-delà des difficultés qu'ils rencontrent.