Le contexte
Les Enfants de Gorre est la première création originale française du jeune éditeur
Mahô Editions, sortie au début de l’été, le 26 juin 2020, au prix de 19,90€ au format papier et 8,50€ au format numérique (
Kobo, Kindle, Google Play Livres). Écrit par
Sylvain Ferrieu, spécialiste accru des légendes arthuriennes, le roman, présenté comme un light novel, est augmenté d’illustrations de
Navigavi, artiste coréen vivant au Japon. L’oeuvre est assez dense, un peu plus de 500 pages, et le vocabulaire utilisé se place bien loin des standards des light novels auxquels on pourrait s’attendre. Ainsi, pour moi, elle se rapproche plutôt d’un roman illustré.
Synopsis
Wilfrid, fils ainé du seigneur forestier de Gorre, revient dans son château natal après des années à parfaire sa formation de chevalier. Il y retrouve ses frères, ses sœurs et un père mourant. Wilfrid va ainsi devoir prouver sa valeur et montrer qu’il est digne de gouverner les terres de son père. Mais, une nouvelle ère approche et la fin du règne d’Uther Pendragon risque de plonger le royaume dans la tourmente…
-Mahô Editions-
L’écriture et les illustrations
Avant toute chose, il ne faut pas avoir peur des descriptions, écrites dans un style propre et soutenu, s’adressant plutôt à un lectorat mature. Quelques mots ont parfois échappé à mon vocabulaire, sans pour autant entraver ma lecture. Le texte, en plus d’être serré, accapare une bonne partie des pages et renforce l’impression de densité du récit. Il est donc agréable de voir surgir par-ci par-là une illustration au style manga de
Navigavi, un peu en décalage par rapport à l’écriture. On s’octroie ainsi une pause afin d’observer les traits de chaque personnage et la scène que l’on vient de lire. C’est amusant et surprenant de voir qu’un personnage est parfois totalement différent de l’image mentale qu’on s’en était faite ! Cela m’est même arrivé pour l’un des frères, alors qu’il y avait pourtant une illustration en couleur en début de tome. On peut dire que le récit alimente bien l’imagination.
L’histoire n’est pas tellement pourvue d’action, même si les protagonistes croisent le fer à plusieurs reprises. Sur un total de 500 pages, il ressort au final assez peu d’événements majeurs, au bénéfice d’une longue mise en contexte, d’immersion dans les pensées des personnages, et de descriptions, ce que certains pourraient trouver ennuyant et lourd. On assiste à une succession de scènes sans que l’on réussisse vraiment à voir où l’auteur nous emmène.
© Mahô Editions
L’univers
L’auteur incruste ses personnages dans un
background arthurien loin d’être déplaisant, même s’il s’attelle plutôt aux prémices de la table ronde, une époque moins connue avec Uther encore au pouvoir. Les lieux et les noms défilent avec plus ou moins d’importance (et de savoir selon ce qu’on connaît de la légende) : Uther bien évidemment, le roi Lot, Gauvain, Yvain, Morgane,
Merlin, Méléagant, même Arthur, entre autres. Si vous avez une bonne connaissance de la légende et de cette période, vous devriez apprécier tous les détails qui parsèment la lecture.
Nous suivons les trois aînés de la famille Fenrys :
Wilfrid et les jumeaux
Gunnolf et
Fanegan. Ils ont une soeur, Sofia, et un petit frère, Ralf. Leur père,
Folkhart, seigneur de Gorre, n’est plus qu’un corps imprégné d’une très faible lueur de vie. Pourtant, son ombre plane toujours au-dessus de la famille...
Les personnages
Chaque chapitre est découpé en trois parties, du point de vue de chacun des frères Fenrys :
Wilfrid,
Gunnolf et
Fanegan.
Wilfrid est l’aîné de la famille. Parti se former en Gaule aux côtés du roi Ban, il revient dans ses terres natales afin de prétendre au statut d’héritier. Ainsi, toutes les décisions qu’il prend lors de son retour convergent dans ce but : se faire connaître des seigneurs voisins, s’imposer comme autorité auprès de ses frères et soeur, réfléchir à la femme qui disposerait des meilleurs atouts pour être à ses côtés, … Sa formation de chevalier lui a appris de nobles règles et il entend bien les respecter.
Wilfrid apparaît ainsi comme un personnage imbu de lui-même, agissant en décalage de sa famille, pensant qu’il vaut mieux que ses frères et qu’il a tout droit sur sa soeur.
Gunnolf est le frère intrépide et bagarreur. Il ne connaît rien à la chevalerie, au grand dam de
Wilfrid, et agit comme il le souhaite, en suivant tout simplement son instinct. Il exécute les ordres de
Wilfrid comme un second. Lorsque l’existence d’un tournoi orchestré par Uther Pendragon lui-même lui parvient aux oreilles, il rêve d’y participer afin de prouver sa valeur et se distinguer. Plutôt sociable, il porte bien son surnom de “jumeau solaire” avec son allure agitée et maladroite prêtant à sourire, aucune arrière pensée ne le traverse. Il se rapproche de ce que l’on peut penser être un héros. Il est le frère qui résiste le plus à l’attrait de son père.
Fanegan, jumeau de
Gunnolf, est beaucoup plus énigmatique et mystérieux. Il entend les animaux, comme son père, et perd vite intérêt dans toute conversation pour se mettre à rêver et écouter des paroles semblant hallucinatoires, lui donnant le surnom de “jumeau lunaire”.
Fanegan est la touche fantastique du trio, et pour cela, il est mon préféré ! Du moins, jusqu’à ce qu’un événement inattendu surgisse...
© Mahô Editions
L’histoire regorge de personnages secondaires. Une flopée de noms nous sont présentés dès le début et cela m’avait fait un peu peur. Mais à la longue l’auteur sait nous accompagner pour éviter que l’on se perde trop. Peut-être l’envie de placer des noms connus de la
légende arthurienne a-t-elle été un peu trop forte puisque certains ne sont pas forcément utiles et complexifient la lecture, déjà bien assez dense. J’avoue avoir été grandement déçue par la non-pertinence des personnages féminins. En premier, nous avons la mère, Marianne. Froide et hautaine. Puis, la soeur, Sofia. Décrite comme une peste volage. Enfin, les trois filles de Mann. Possibles prétendantes et observées de haut en bas, j’attendais que le scénario leur accorde un peu plus d’importance, surtout à
Lyra, la plus mise en avant et pour laquelle j’avais peut-être un peu trop d’espoir.
Un événement inattendu va bouleverser les envies de liberté de nos trois frères et changer leurs comportements, les plongeant alors dans une cruelle et ténébreuse destinée. Le ton et l’atmosphère changent du tout au tout et deviennent plus lugubres. Notre vision du roman en est également bouleversée car le chemin tracé jusqu’alors suivra une toute autre direction. Je pensais que ce ne serait qu’une passe, mais non, cela dure bien jusqu’à la fin du tome, ce qui m’a laissé des impressions de longueur. Ce dernier peut donc se découper en deux parties : une première lors de laquelle les trois frères s’avancent librement et indépendamment vers un chemin qui leur est propre, plus ou moins flou selon ce qu’ils imaginent de leur futur. Mais libres. Et une seconde où la destinée et leur héritage les rattrapent...
Conclusion
Ce premier tome marque le début d’une longue aventure
chevaleresque signée
Sylvain Ferrieu embellie par les illustrations de
Navigavi. Les Enfants de Gorre porte bien son titre, car nous avons bien là trois enfants qui vont devoir décider de leur propre destin alors qu’ils ont été formatés par leur père, le puissant seigneur
Folkhart de Fenrys, qui n’était pas des plus tendres, oh que non. Vont-ils suivre le chemin de leur père ? Ou autre contraire, agir de leur propre ressort, construire leur propre destinée et affronter leurs démons intérieurs ?