Attention, cette chronique porte sur une œuvre destinée à un public averti car elle contient des scènes particulièrement violentes ou sexuellement explicites.
Synopsis :
En entrant au lycée, Hara a choisi de devenir un délinquant. Chaque vendredi, il passe du temps avec Sugimura, l'un des hommes d'entretien de l'école, dans leur petit coin secret. Bien qu'ils passent du temps ensemble, ces deux grands solitaires préfèrent rester silencieux. À tel point que le jeune homme tente de lancer une conversation avant de comprendre que, s'il veut préserver la relation qu'ils ont actuellement, mieux vaut laisser Sugimura tranquille. Attristé à l'idée d'avoir tout gâché, Hara arpente les couloirs de l'école lorsqu'une grosse brute lui tombe dessus... et contre toute attente, celui qui lui vient en aide n'est autre que Sugimura !
-Boy's Love-
L'idée du développement d'une complicité silencieuse entre deux personnages très froids et taciturnes semble être très intéressante, mais le début du scénario est plus que déroutant. C'est donc avec étonnement que j'ai découvert
Rends-Moi Beau !, un des nouveaux one-shot de
Sachimo paru en France cet été chez les éditions
Boy's Love.
En effet, Hara, malgré son look de délinquant, semble être la victime de brimades et se fait agresser sexuellement dès les premières pages... agression lors de laquelle il se masturbe et jouit en apercevant Sugimura par la fenêtre. Quelques jours plus tard, même schéma, Hara trouve le moyen de se masturber alors que l'un de ses harceleurs est sur le point de le violer, puis continuera après que Sugimura l'ait sauvé, ce dernier n'ayant alors "pas le choix" de lui faire une fellation dans les toilettes.
Facilités scénaristiques de mauvais goût pour représenter les personnages dans des situations sexuelles ? Audacieux choix de l'autrice de nous présenter un personnage masochiste et instable ? Certainement un peu des deux, la seule hypothèse présentée dans le manga (en une phrase seulement) semble être qu'Hara n'aurait pas conscience de ce qu'il fait lorsqu'il se masturbe. Tout s'enchaîne très rapidement sans laisser aux lecteur·ices le temps de comprendre le pourquoi du comment. Avec cet étrange début de tome, on pourrait s'attendre à trouver des réponses à nos questions à travers une histoire très psychologique tournant autour d'un Hara tourmenté, mais il n'en est rien. On assistait là en réalité simplement à des scènes dramatiques vides de toute problématique psychologique et présentées avec mauvais goût, et l'autrice ne reviendra pas dessus.
Malgré ce début pour le moins surprenant, le reste du manga cherche à faire passer un message positif : on peut arriver à s'accepter physiquement, quelque soit notre taille, notre corpulence ou encore notre âge. Ce sujet, à l'image du titre, est abordé par le point de vue du regard de l'être aimé, qui redonne confiance en soi et permet d'avancer, de dépasser ses complexes en se dévoilant peu à peu à lui. Au début peu confiants, Hara et Sugimura évoluent au fil du tome, leur confiance en eux arrivant à son paroxysme lorsque les deux personnages participent, un peu malgré eux, au concours de Mister du lycée. Les bases sont bien là et sont correctes, cependant le tout manque quand même de profondeur, le développement de cette problématique reste maladroit, et l'on regrette encore une fois que l'autrice ne nous plonge pas plus dans les pensées de ses personnages.
Mais il est complexe d'axer son manga sur une telle problématique tout en limitant son impact par un scénario dont les bases mêmes ne sont pas saines. Certes, on nous présente deux hommes au passé triste et empreint de solitude, "saoulés" par les gens et par leur quotidien. Certes, la construction des personnages est intéressante : on ne tombe pas dans le cliché du délinquant avec Hara, on nous présente un agent d'entretien avec un casier judiciaire et meurtri par la vie. De quoi créer un bon mélange, malheureusement pas forcément exploité dans la bonne direction. Le problème de la différence d'âge dans leur couple n'est en effet que très peu abordé, si ce n'est que Sugimura a peur qu'Hara trouve qu'il "sente le vieux". Rappelons qu'il s'agit là d'un lycéen mineur ayant des relations avec un homme de 39 ans. J'ai trouvé cela dérangeant au sens où il ne s'agit pas ici de deux adultes consentants, mais bien d'un adolescent très seul, perdu, plusieurs fois agressé sexuellement, sans aucun parent pour le soutenir à la maison et en manque d'affection... On repère vite une grande sensation de dépendance du jeune garçon envers Sugimura, adulte calme, mature et parvenant à gérer toutes les situations. Même si celui-ci nous est présenté comme amoureux et dénué de toutes mauvaises intentions, leur relation n'en reste pas moins problématique et peut nous faire ressentir un certain malaise, en plus de nous laisser de marbre côté émotions.
Le tout est abordé sur un ton léger, à l'opposé des thèmes traités, et est heureusement compensé par le dessin de
Sachimo qui, bien que classique, saura toujours nous ravir par la justesse de ses expressions et ses personnages parfois discrets, parfois très émotifs, mais toujours très classes. Le chara-design est bien pensé et on a l'agréable surprise de le voir se renouveler lorsque Hara change de couleur de cheveux, nous révélant un personnage finalement populaire, qui affirme sa confiance en lui au fil des pages. L'apparence physique des personnages est mise en parallèle avec leur évolution : par exemple, Sugimura retire de plus en plus souvent sa casquette au fur et à mesure qu'il parvient à s'ouvrir aux autres.
Au final,
Rends-Moi Beau ! est un one-shot qui semble beaucoup trop court et dans lequel tout va trop vite, ne nous laissant pas le temps de comprendre les personnages et poussant l'autrice à user de facilités qui perdent, mettent mal à l'aise et ne rendent pas l'histoire touchante. C'est bien dommage, car les personnages et le thème abordé sont réellement intéressants et mériteraient un développement scénaristique plus à même de leur rendre hommage.