L’Ile de Tokyo est un roman de
KIRINO Natsuo publié au Japon en 2008 par
Shinchōsha et disponible en France aux éditions du
Seuil.
Dans ce roman, nous suivons
Kiyoko, seule femme parmi vingt-sept hommes, tous naufragés sur une île déserte et perdue. En lisant ce court synopsis, vous vous attendez sûrement, comme moi, à une histoire de survie dans un milieu dangereux et oppressant, dans lequel une femme seule devra affronter les dangers de son environnement, naturels et humains. Eh bien, vous risquez d’être déçus… la survie n’est presque pas abordée. D’ailleurs, la vie sur l’île non plus. Mais de quoi ça parle alors ? Bonne question…
Nous prenons l’histoire à l’aube du 3e mariage de
Kiyoko sur l’île, correspondant à sa 5e année de vie sur l’île. Les années précédentes ne seront que brièvement abordées, le naufrage du couple et leur première année de vie en solitaire n’étant résumés qu’en une phrase, et les autres années ayant également du mal à tenir sur la durée. Il ne reste pas grand-chose, donc. De plus, une grande partie de ce que nous connaissons sur l’île nous est raconté à travers le ressenti amer de
Kiyoko envers toutes les personnes qui l’entourent. Clairement, il ne s’agit pas de raconter cette tranche de vie.
Si la vie sur l’île n’est pas le centre du roman, alors peut-être que l’auteure souhaite mettre en avant l’île en elle-même, puisque le titre du roman est «
L’Ile de Tokyo » après tout.
KIRINO Natsuo met un point d’orgue à la décrire d’ailleurs. Mais il résulte de cette description plusieurs manques, notamment quant à la faune qui la peuple, alors que nous connaissons en détail sa géographie et sa flore. On notera tout de même que l’on en apprend plus sur l’île que sur les naufragés et leur mode de vie. Ceci passe même pour un défaut d’écriture. Prenons l’exemple du cadeau de mariage de
Yan et de ses acolytes offert à
Kiyoko et
GM : des morceaux de porc grillés. La présence d’un ou de plusieurs cochons sauvages sur l’île n’a jamais été ne serait-ce que mentionnée avant ce moment. Cela n’est confirmé que très tard dans le livre. J’en suis même arrivé à penser qu’ils leur offraient de la chair humaine, appuyé par le rire moqueur d’un personnage. De même, il n’est fait mention qu’à deux reprises de la présence d’un certain nombre de singes sur l’île, mais toujours sur le ton de l’anecdote ; leur espèce et apparence ne sont pas décrites, un peu comme si l’auteure ne savait pas quoi faire avec cette information. On notera un essai de rendre l’île plus vivante dans le dernier tiers du récit en lui donnant des attraits humains. Mais ces métaphores arrivent bien trop tard, donnant une impression d’inachevé.
Mais alors sur quoi est centré le livre ? Après lecture, celui-ci donne l’impression d’être centré sur les différences culturelles en fonction des nationalités. Comme vous l’aurez compris, deux groupes sont présents sur l’île : les Japonais et les Chinois, et, contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre d’un livre écrit par une Japonaise, ce sont les Chinois qui sont mis en valeur. Les Japonais nous sont présentés comme des fainéants préférant la facilité, que ce soit dans le choix de leurs repas, les fruits à portée de main, ou de leur chef, l'époux de
Kiyoko. Il nous est expliqué que c'est d'ailleurs cet absence de réel leader qui entraîne ce fossé entre les groupes puisque coté Chinois,
Yan est un leader charismatique, autoritaire et organisé. Il sait mener ses troupes pour les faire survivre le plus longtemps possible, le confort en plus. Le récit devient une véritable ode à la gloire des Chinois, ceux-ci étant les seuls à envisager et à parvenir à la construction d’un radeau et, ce, à deux reprises.
En bref… que penser de ce récit ? Eh bien, vous l’aurez sûrement compris en lisant ces lignes : pas grand-chose... La description de l’environnement est faible, voire trompeuse ; les espèces animales comme les cochons sauvages apparaissent pour le besoin de l’histoire ou comme détail inexploité, à l’image des singes. La psychologie des personnages est tellement survolée que la mentalité des hommes change du tout au tout. Alors qu'ils sont effondrés suite à la disparition temporaire de
Kiyoko (quelques jours), ils ne la cherchent même pas lorsqu'elle se cache pendant sa grossesse (plusieurs mois...). Pour ne rien arranger, la traduction m’a l’air parfois peu judicieuse. Je prends pour exemple le passage où
Kiyoko fuit l’île avec les Chinois. Leur embarcation finit par chavirer et
Kiyoko nage jusqu’à l’île la plus proche. Lorsqu’elle met un pied à terre, le livre nous dit qu’elle est de retour sur l’île de Tokyo alors que l’héroïne, dont nous partageons le point de vue, ne prend conscience de cette information que plusieurs lignes plus tard, gâchant l'effet de surprise de la révélation. Le roman ayant obtenu
le prix Tanizaki en 2008 et n’étant pas le premier travail de l’auteure, j’espère (et je crains) que ces problèmes ne viennent de la traduction car ne dit-on pas
traduttore, traditore.