Pendant un long moment, j’ai souhaité me pencher sur
Haruki Murakami, dont le succès n’est plus à prouver, sans pour autant chercher à savoir par où commencer pour apprendre à le connaître. L’occasion s’est présentée de la plus belle des façons : me voilà rendue à la librairie de la Cantine du Voyage à Nantes, il me faut choisir un livre pour m’occuper. Leur collection est originale, mais un seul livre retient mon attention grâce à sa magnifique couverture bleu marine aux reliefs métallisés et ornée de grillons :
Sommeil.
Cette nouvelle de quatre-vingt-quatorze pages, publiée aux éditions
10|18, conte les dix-sept nuits sans sommeil d’une Japonaise. Dix-sept nuits résumées sur si peu de feuilles, c’est à la fois intrigant et prometteur. Et très réussi. Nous allons découvrir trois des piliers qui, selon moi, contribuent à la réussite de cette œuvre à la fois adaptée pour découvrir et continuer
Murakami : l’écriture, le découpage de l’histoire et la protagoniste. Si ce dernier peut sembler évident, nous verrons que le réaliser dans l’exercice de la nouvelle n’est pas autant évident qu’il puisse paraître.
Comme dit, il s’agissait pour moi de découvrir l’auteur et la seule référence que j’avais à son égard concernant son style était la mention d’une « écriture cristalline » mentionnée en quatrième de couverture. Laissez-moi vous dire qu’il est loin de s’agir d’une vision subjective de la part de l’éditeur.
Murakami réalise un véritable travail d’équilibriste, son écriture étant à la fois très fluide et facile à lire en restant toujours chargée de sens. Cette facilité avec laquelle il décrit l’évolution de la protagoniste permet au lecteur d’être complètement immergé dans l’histoire, autant que l’est l’héroïne dans sa dérive, sans que ni l’un, ni l’autre ne s’essouffle. L’évolution du rythme du récit est ainsi orchestrée d’une main de maître, ne laissant aucun répit ni au lecteur ni à son héroïne. Il rend ce livre obsédant, même après plusieurs jours, même après un an.
C’est notamment le découpage de l’histoire qui est en partie responsable de cet effet. On relève trois étapes principales dans la tranche de vie qui nous est exposée : son confort, son éveil, sa dérive. Elles sont assez distinctes et se repèrent assez facilement au fil de la lecture. Attention, ce n’est pas pour autant que chacune s’interrompt ou commence brusquement sans le voir venir. On passe toujours de l’une à l’autre avec la grâce d’un dauphin. Bref. Ces trois étapes sont le cœur de l’histoire de l’héroïne qui, en se replongeant dans un livre, en vient à mener une vie de plus en plus décadente. Enfin, décadente lorsqu’on la compare à sa petite vie confortable et… « sans vie », en sommeil, de la première étape. D’ailleurs, le sommeil est clairement le principal sujet, mais traduit de plusieurs manières : une vie dormante, une vie rêvée, une vie qui ralentit.
Plus tôt, je notais que ce livre pouvait devenir une obsession. Si le découpage est en partie responsable de cet effet, l’instant en suspens sur lequel se termine cette merveilleuse nouvelle en est clairement le principal qui, à la fois, me donne envie de le relire et de rester sur les impressions que j’ai ressenties lors de ma première lecture. Tout d’abord parce que les différents niveaux de lectures sont accessibles à tous, mais que celui qui semble m’avoir le plus conquise est vraiment le premier. Ensuite parce que la descente de cette héroïne, le travail autour de son sommeil, est fascinante. En effet, enracinée dans son foyer et ses habitudes, elle est plongée dans un cycle continuel qui se rompt brusquement. Rapidement rendue attachante grâce à sa normalité, elle devient rapidement un être libre, malgré son quotidien qui lui rappelle ses chaînes. Souvent implicites, ses différents états de sommeil font d’elle une personne dans laquelle l’on peut se reconnaître grâce à la simplicité de ses états, couvant bien d’autres questions. Elle est à la fois ce que l’on aime et ce que l’on déteste en chacun de nous, insufflant le désir de se libérer. C’est ce qui fait d’elle un être particulier, auquel l’on s’attache, dont on rêve de connaître la fin. C’est pourquoi l’on garde ce livre à portée de main, en continuant de penser à ses expressions que l’on a imaginées, à sa descente, puis à sa stupeur.
Haruki Murakami réussit à ancrer la vision de cette dame dans nos esprits en l’espace de quatre-vingt-quatorze pages. Certes, l’histoire ne se situe pas dans un univers aussi étendu que celui de J.R.R. Tolkien ou encore de Miyazaki et n’est pas aussi passionnant. Cependant, c’est justement ce qui rend sa réussite si particulière. En effet, c’est uniquement grâce au dosage minutieux de chaque élément que l’intrigue et le dénouement de
Sommeil peuvent se targuer d’être une réussite, d’être attachants. Sans la précision de
Murakami, ce manuscrit n’aurait été qu’une goutte de pluie dans l’océan des écrits.
Malgré le fait que l’histoire soit courte et le rythme soutenu, il ne s’agit néanmoins pas d’une œuvre qui se dévore en une bouchée. En effet, nombreux sont les éléments évoquant un ralentissement, à commencer par le titre. Autre élément le rappelant, les illustrations dispersées au fil du roman, à la fois réalistes et ancrées dans un univers onirique. Cette impression ressort grâce à l’équilibre conservé entre la frontière des estampes traditionnelles et celle d’un style plus moderne, notamment dans le dessin des expressions de l’héroïne. Le mélange des deux est captivant et on aime prendre le temps de les observer et de les rallier au récit. Elles ont été réalisées par
Kat Menschik, qui a travaillé sur d’autres de ses œuvres. Ainsi, entre équilibristes confirmés, l’entente est bonne et la lecture n’en devient que plus plaisante !
En conclusion,
Sommeil est une nouvelle absolument exquise, laissant entrevoir plusieurs ouvertures selon qui la lit, quand il la lit et, surtout, combien de fois il la relit.
Haruki Murakami et
Kat Menschik nous bercent dans un univers fluide et à couper le souffle, grâce à leur travail mêlant simplicité des tracés et complexité des sens. Œuvre accessible à tous, il s’agit d’une belle entrée en matière pour se frotter à l’univers de cet auteur particulier ou pour continuer à le connaître, tant ce qu’il offre dans ce livre est vaste.