Au mois de juin se déroulait le fameux
Festival International du Film d’Animation d’Annecy (FIFA pour les intimes). Lors de celui-ci, on découvre des longs-métrages comme des courts-métrages, des titres connus ou moins connus et originaires de tous les horizons.
Cette année, c’est
Lou et l’île au Sirène qui a remporté le Cristal du meilleur film d’animation. Licencié par
Euroz00m, vous pourrez le découvrir en salle fin août. Mais nous n’allons pas parler du primé dans cette chronique. Bon, d’accord, c’est en partie parce que je n’ai pas eu le temps d’aller le voir durant le festival. Par contre, j’ai eu l’occasion d’aller visionner le très attendu
A Silent Voice. Adapté du
manga du même nom, créé par
ŌIMA Yoshitoki, ce long-métrage a été licencié par VizMedia (
Kazé,
Anime Digital Network…) et sa sortie en salle n’a pas encore été annoncée. C'était donc sûrement le film à ne pas louper en tant qu'amateur d'animation japonaise durant ce festival. Étant donné qu’il s’agit d’un
manga peu connu du grand public, je ne m’attendais pas à entrer dans une salle si pleine mais, que voulez-vous, festival d’animation et nombre important d’accrédités obligent. Tant mieux ! Dans cette chronique, nous aborderons plusieurs points : l’ambiance générale de l’adaptation animée, l’humanité des personnages et la façon dont
USHIO Kensuke a réussi le pari de retranscrire la surdité dans ses compositions audio.
À noter que
YAMADA Naoko, à la réalisation, a choisi de ne pas aborder certains axes du
manga (pourraient correspondre aux quêtes secondaires, comme les activités de club) pour se consacrer à la relation entre
Shōko et
Shōya et à l’évolution de ce dernier. Ceci pour notre plus grand bonheur car ce choix lui a permis de mettre bien d’autres scènes en avant. Les interactions entre les deux protagonistes en deviennent plus intenses, qu’elles s’agissent de bagarres, de dialogues en signes ou même des échanges entre les personnages.
Le harcèlement à l’école est un thème abordé à de nombreuses reprises dans l’histoire de l’animation japonaise et du
manga. Dans
A Silent Voice, il est le moteur et l’initiateur de l’histoire d’adolescents en quête d’eux-mêmes avec, pour point de départ, l’échec de la tentative d’intégration d’une enfant sourde dans une classe de primaire normale.
Si l’ambiance du
manga est très respectée, quelques changements sont notables entre l’œuvre originale et le film, notamment au niveau du point de vue narratif. De fait, les réactions du public dans la salle ont été très éloignées de ce que les lecteurs ont pu ressentir lorsque chacun a découvert le mauvais traitement réservé à
Shōko par ses camarades. Me laissant porter par le film, j’ai été soudainement étonnée par le public riant face à ce qui ne lui semble être que des blagues d’enfants, semblables à un rituel pour entrer dans la bande. L’ambiance n’a changé qu’une fois que les brimades ont tourné au drame : un silence de malaise a envahi la salle, c’en est même pesant. Cela-dit, on ne peut pas tellement leur en vouloir d’avoir ri : pendant l’escalade du harcèlement, même la musique guillerette ne laisse pas présager un accident. Dans l’œil du spectateur, il ne pouvait que s’agir d’histoires d’enfants, sans forcément grandes répercussions. Soudain, c’est la perception de ce qui s’est déroulé l’instant d’avant qui a changé. Ce changement est intéressant à traduire car il s’explique principalement au travers du choix des points de vue narratifs. En effet, sur le papier est couchée celui des enfants, notamment de
Shōko qui subit ces dommages et qui saisit de suite le lecteur aux tripes. De fait, à aucun moment ce dernier n’a l’impression qu’il s’agit de jérémiades et, au contraire, il sait que les scènes qu’il lit sont anormales. Par contre, à l’écran, on a réellement l’impression d’assister à un point de vue externe, celui d’un adulte : une musique enfantine rythmée, joyeuse en fond, les expressions des enfants qui rient sont davantage mises en avant. Bien sûr, il est évident que
Shōko subit les actions, mais tout donne l’air qu’il s’agit d’un rituel pour entrer dans la bande. À cela s’ajoute les quelques réprimandes peu véhémentes du professeur, dont on partage finalement le point de vue. Mais ce n’est pas un hasard si ce point de vue a été choisi : le choc du spectateur, lorsque la fillette se retrouve blessée et qu’un tas de questions l’envahit elle et ses camarades, n’en est que plus violent. C’est réellement à partir du moment où l’on retrouve
Shōya et
Shōko devenus des adolescents, que l’on se rend compte que leur enfance était la mise en place d’un point de repère, dans la quête de soi des personnages. Le choc précédent est clairement efficace : plus que comme des ados, on perçoit les protagonistes comme des jeunes adultes, avec leurs torts, leurs faiblesses et, surtout, leur technique de survie. Le point de vue narratif passe aussi du côté des adolescents, les détresses et moments de bonheur de chacun étant perçus à travers leur regard. L’un des meilleurs exemples est celui du moment où,
Miyako, la mère de
Shōya lui demande des explications sur la lettre qu’il lui a laissée : plutôt que de se concentrer sur les expressions du garçon, c’est toute la détresse de sa mère qu’il perçoit qui nous est renvoyée en pleine face, trahissant son propre désarroi, rendant la scène bien plus émotionnelle.
Pour vous faire une meilleure idée, vous pouvez aussi aller jeter un oeil à la scène entière sans son sur le site Sakugabooru.com en suivant ce lien :
Sakuga A Silent Voice
Notons également que deux concepts de la surdité sont exploités dans
A Silent Voice. D’abord, celui de
Shōko, en tant que handicap lui causant bien des soucis, tant pour se faire comprendre qu’accepter auprès des autres ou auprès d’elle-même. Ensuite, on a
Shōya adolescent qui, pour éviter d’être blessé de nouveau, marque son isolation en se couvrant les oreilles de ses mains. Il devient alors sourd aux remarques des autres qui l’ont effectivement touché autrefois, après s’être pris le revers de la médaille. Les épreuves qu'ils affrontent sont communes à beaucoup d'adolescents, mais c'est toujours la finesse du traitement du sujet qui fait d'
A Silent Voice un film qui se démarque des autres, au-delà de celui du thème du handicap. On a ainsi deux jeunes gens qui se lient simplement l'un à l'autre, mais dont le lien devient rapidement très profond. En témoigne la fameuse scène des feux d'artifice, lors de laquelle le lien entre les héros devient physique, marquant leur dépendance l'un à l'autre dans leur quête de survie. Deux situations, deux handicaps et des manières de vouloir les surmonter finalement similaires.
Shōko et
Shōya sont des adolescents qui tentent, plus que de trouver leur place, de survivre dans leur monde.
C’est ainsi que, au travers des protagonistes et des personnages secondaires,
A Silent Voice aborde avec une grande subtilité la quête de construction et de reconstruction de soi. Bien qu’ayant parfois des origines semblables, on nous offre une palette d’archétypes variés de personnages nous permettant de nous reconnaître tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre. Ou, au contraire, on ressentira une forte envie de gifler tantôt l’un, tantôt l’autre. On passe donc par plusieurs stades d’émotions en observant ces enfants puis adolescents grandir, trouver leurs repères, les voir s’effondrer pour mieux les reconstruire par la suite. Aussi, malgré leur malfaisance, il reste difficile de rejeter certains personnages, tant ils peuvent nous rappeler certaines facettes de notre propre personnalité, en plus exacerbées. C’est donc d’une bien étrange façon que l’on s’attache à eux, qui va bien au-delà de la simple curiosité. En fait, une seule envie vient à nous ronger justement parce que l’on se reconnaît en eux : celle de les comprendre. Nous avons tous été ou sommes encore un peu
Shōko, sans pour autant être sourd,
Shōya, sans forcément avoir été violent et même
Naoka, sans être aussi peste. Ils ouvrent les yeux sur certains comportements que chacun peut adopter, consciemment ou non, face à la différence. C’est le rôle principalement attribué aux personnages secondaires, marquants par leur unicité, particulièrement
Yuzuru, la petite sœur tourmentée de
Shōko, et
Tomohiro, l’ami plein d’ambitions de
Shōya. Ils offrent un nouveau regard sur les situations présentes ou passées des personnages, leur permettant de mieux se comprendre et d’avancer. Plus que de simples adjuvants, ils sont des guides ayant une particularité : celle d’être également en quête de ce qu’ils sont et de leurs propres attaches. Dans le même style,
Naoka, dans son rôle de peste égoïste, tente de se raccrocher à ce à quoi elle tient particulièrement, à n’importe quel prix. Difficile d’ignorer un personnage à la fois aussi haïssable et qui donne tout ce qu’elle a pour être quelqu’un aux yeux des autres.
Yuzuru et Tomohiro Sale peste
Peu de bandes-son ont été écrites aussi sur-mesure que celle d’
A Silent Voice, par
USHIO Kensuke et il est même important de se pencher sur son histoire pour mieux le comprendre. Dans une interview pour le site anglophone
manga.tokyo, celui-ci a confié qu’avant tout, il avait travaillé autour de nombreux concepts artistiques avec
la réalisatrice, sans pourtant inclure la surdité dedans. Aussi, il a confié avoir composé des pistes tout spécialement en lien avec ce handicap, qu’il a tenté de comprendre grâce au fonctionnement des appareils auditifs. C’est ainsi qu’il est arrivé à la conclusion que le meilleur instrument pour l’illustrer était le piano droit. Si cela peut sembler anecdotique, les morceaux qui en résultent en ressortent encore plus bluffant. En effet, plus que musical, on a affaire à des pistes « sourdes », où les sons se rapportent davantage à des bruits plutôt qu’à des notes. La majeure partie de cet univers de la bande-son est accompagnée par de douces notes au piano. Reconnaissables et ponctuelles, elles appuient cette impression de perception de bruits, d’autant plus qu’
USHIO a laissé les sons de l’appui sur les touches perceptibles. Ces délicates attentions permettent d’intégrer parfaitement la notion de surdité et le personnage de
Shōko dans l’histoire. En effet, en y réfléchissant, il aurait sûrement été moins naturel d’aborder la surdité en l’accompagnant de pistes très musicales, pas forcément compréhensibles ou audibles pour les personnes concernées. Si vous voulez en savoir davantage à propos de la composition, le lien de l’interview en anglais est disponible à la fin de l’article. Comme le dit lui-même
USHIO Kensuke, connaître l’histoire de cette composition peut vous aider à mieux comprendre le film ainsi que ses intentions. Ou même contribuer à revoir le film sous un autre angle ou à écouter cette bande-son d’un point de vue différent.
Moment sourd
Côté animation, rien à redire.
Kyoto Animation rappelle qu’ils sont présents pour réaliser de la qualité. La réalisatrice
YAMADA Naoko (
K-On,
Tamako Market…), habituée à mettre en valeur les expressions adolescentes, marque une fois de plus son territoire en détaillant toutes les mimiques et allures des personnages, fortement ancrées dans la réalité. De même, on nous émerveille ou vient titiller nos sentiments en rendant leurs mouvements si fluides et si détaillés qu’ils en deviennent réels pour le spectateur. Un grand bravo à eux pour l’animation du langage des signes parfaitement exécutée et couplée à l’animation labiale. On sent qu’un important travail de fond a été réalisé pour pouvoir arriver à un résultat aussi satisfaisant dans les interactions entre les personnages. Côté paysage et décors, on appréciera réellement l’utilisation prononcée des couleurs, notamment durant les quelques scènes subaquatiques qui m’ont personnellement marquée (peut-être pour l'équilibre entre l'esthétique et la gestion de la perception des bruits sous l'eau qui peuvent s'apparenter à la surdité) ou lors du feu d‘artifice.
Underwateeeeeeeeeer
S’adressant à tous les publics au travers de la diversité de ses thèmes et de ses personnages,
A Silent Voice est sans conteste un film destiné à faire réagir le spectateur. Les personnages sont travaillés sans fioritures et se forcent à dévier de leur route pour pouvoir survivre dans le monde qui les entoure. Certes, les secondaires sont moins travaillés que dans le
manga, mais on en sait assez sur eux pour connaître l’importance du rôle de chacun et ce qu’ils apportent aux héros. La fin modifiée du film est aussi joliment travaillée, adaptée aux thèmes qu’il a abordés et aux choix scénaristiques de la
réalisatrice. Pour revenir et conclure sur le public, le film a été longuement applaudi à la fin. Bien sûr, lors du festival, chaque film l’est. Mais de voir un film au sujet si sensible et en format tranche de vie atteindre un aussi large public laisse entrevoir combien
YAMADA Naoko a brillamment relevé ce défi.
Interview du compositeur
USHIO Kensuke :
https://manga.tokyo/interview/koe-no-katachi-interview-with-kensuke-ushio/