Après la tempête est un film écrit et réalisé par
KORE-EDA Hirokazu et sélectionné au Festival de Cannes 2016 dans la sélection « Un certain regard ». Il est sorti en salles en France le 26 avril 2017 et sortira le 30 août en DVD et Blu-ray.
Après la tempête est un film d'auteur. Il raconte une tranche de la vie de
SHINODA Ryōta (interprété par
ABE Hiroshi) et de sa famille : sa mère, sa grande sœur, son ex-femme ainsi que son fils, qu'il ne voit que rarement.
SHINODA Ryōta est écrivain, ayant même gagné un prix littéraire plus jeune, mais qui, depuis travaille comme détective privé. Aussi, même s’il prétend que ses enquêtes lui servent d’inspiration pour son prochain livre, on comprend vite qu'il n'écrit plus beaucoup.
Ryōta a du mal à joindre les deux bouts, arnaque des clients pour gagner plus d’argent, avant de tout perdre en le jouant. C’est devenu une addiction dont il n'arrive pas à se défaire et qu'il passe son temps à justifier. Il va de temps en temps chez sa vieille mère pour tenter de trouver des objets qu'il pourrait mettre en gage.
Mère, sœur, ex-femme, fils et même certains de ses collègues, tous ont de l’amour pour lui et essaient de l’aider à leur manière, de lui faire prendre conscience, plus ou moins durement, du gouffre dans lequel il se laisse tomber. On assiste alors aux confrontations entre
Ryōta et son entourage, ainsi qu’avec ses propres démons.
SHINODA Ryōta a tout du minable, mais cache aussi une certaine grandeur d’âme, comme par exemple la scène où il va chez sa mère dans l'espoir de lui voler des objets de valeur et part finalement en donnant de l'argent à celle-ci pour qu'elle puisse s'acheter un CD de musique. Le spectateur oscillera souvent entre sympathie et dégout pour le personnage.
Globalement, le film suivra ce chemin tortueux, perdant le spectateur dans ses méandres. C'est d'ailleurs très perturbant durant toute la première moitié :
KORE-EDA installe le décor, pose les pièces d'un puzzle mais ne donne jamais de ligne directrice. Le spectateur est alors comme le protagoniste : un peu perdu et risquant l'ennui. On se demande quel est l'intérêt de nous montrer ces instants de vie de gens ordinaires, sans fil conducteur.
Mais cette gestion du temps et du rythme est volontaire. Elle permet à la fois de mettre les éléments en place mais aussi, c’est l’une des plus grandes réussites du film, de retranscrire magnifiquement à l'écran cette dilatation du temps. Celle-là même que tout le monde a déjà vécue et qui donne l’impression qu'en une nuit on peut vivre plus de choses qu'en un mois.
La grande force de
KORE-EDA est de filmer la banalité de la vie et de lui insuffler toute la beauté de son art. En cela, son film fait beaucoup penser à un autre très grand réalisateur japonais
OZU Yasujirō (le côté statique de la caméra d'Ozu en moins). Comme lui, il filme et sublime la vie de tous les jours, rendant magnifique des immeubles de lotissements pourtant banals. Il trouve toujours le bon angle, la bonne lumière, le bon mouvement. On ne peut qu'admirer le travail de l'équipe technique, tous les lieux, objets et habits semblent ordinaires et permettent une identification facile et, dans le même temps, toute cette banalité est sublimée.
Regarder ce film est comme voir la beauté cachée de la vie de tous les jours.
Belle complicité entre les acteurs ABE Hiroshi et KIKI Kirin.
Thème cher à
KORE-EDA, le rapport père-fils est traité ici au travers des rapports qu'entretenait
SHINODA Ryōta avec son propre père décédé et au travers de ceux qu'il entretient avec son propre fils. Bien qu'il se défende d'être comme son père,
SHINODA Ryōta semble enchaîné par l'image et la relation qu'il avait avec le sien et tend à reproduire ce schéma avec son propre fils. Comme une fatalité.
Le film est tout en subtilité et beaucoup de thèmes sont abordés, ou du moins effleurés, mais
KORE-EDA se garde bien de donner une quelconque leçon de morale. C'est donc au spectateur de se faire sa propre idée, de faire ses choix.
Le casting est excellent, le jeu des acteurs est toujours juste et les acteurs correspondent tellement à leur personnage, même physiquement, qu’on se demande presque si le scénario n’a pas été écrit après le casting.
La mère de
SHINODA Ryōta,
SHINODA Yoshiko, interprétée par
KIKI Kirin, a ce côté décontracté et libre caractéristique de certains seniors japonais. Elle passe du ton farceur et facétieux à un registre plus grave dans le plan suivant avec une facilité déconcertante. On la voit dans un plan rêveuse et pleine de vitalité comme une enfant et le plan suivant grave et inquiète pour sa famille, semblant accuser le poids des ans et approcher de la mort.
ABE Hiroshi est lui aussi parfait, son corps trop grand semble inadapté au monde qui l’entoure, mais sa beauté physique confère une certaine grandeur d’âme au personnage.
Ryō
ta semble constamment trop grand et inadapté, ici il semble écrasé par le cadrage.
Au début, le scénario semble n’être qu’une succession de petites scénettes et de sketches racontant des bouts de vie, parfois attendrissants, parfois drôles, parfois plus dur.
Chaque scène est l’occasion d’illustrer une facette de la vie de
Ryōta. Il est tour à tour, un père, un fils, un solitaire qui se demande quel sens donner à sa vie, un rêveur qui n’a pas toujours la force de suivre le chemin qu’il s’est fixé, un homme seul avec ses défauts et ses vices.
Le scénario cultive une certaine ambiguïté, conduisant le spectateur le long d’un chemin sinueux, le laissant aussi perdu que le personnage principal, donnant l’impression de naviguer à vue. Succession et alternance entre scènes de travail et scène de famille (ou seul).
On ne constate aucune évolution dans la situation ou la psychologie des personnages pendant les deux premiers tiers du film et, malgré l’enchaînement des séquences et des lieux, c’est l’impression d’immobilisme qui prédomine. À l’inverse, la dernière partie, qui se concentre sur une seule nuit et se trouve limitée à la maison de
SHINODA Yoshiko, fait complètement basculer le film.
Cette gestion du temps et du rythme inquiète un peu au début (risque d’ennui), mais finit par s’imposer comme une évidence et un coup de maître.
L’histoire est racontée avec subtilité et il faudra prêter une attention particulière aux détails, car il n’est pas rare qu’une phrase ou un plan ne prenne son sens que plusieurs séquences plus tard. Pour mieux comprendre, un petit exemple : durant la première séquence du film la mère et la sœur de
Ryōta imitent la façon dont le père calligraphiait, un détail repris seulement dans l’une des dernières séquences par
Ryōta.
La réalisation suit la dynamique du scénario et joue aussi sur l’ambiguïté et la volonté de laisser au spectateur le choix d’où se portera son regard. En effet, certains cadrages possèdent plusieurs plans dans l’espace, comme par exemple, le tournage de scènes d’intérieur. Dans le cas où l’action se passe dans plusieurs pièces en même temps, la caméra trouvera un angle permettant de les voir dans le même plan. Autre stratégie utilisée, la caméra filmera une pièce à l’action plutôt silencieuse laissant celle d’où provient le son hors champs.
Seule la bande originale m'a semblé un peu en retrait. Pas particulièrement mauvaise, elle brille par son incohérence et sa banalité. Ce n’est pas foncièrement gênant, la plupart des spectateurs l’auront sûrement oublié
à peine le film fini, mais cela pourra gêner les plus mélomanes.
KORE-EDA film avec beauté le monde de tous les jours
Au final,
Après la tempête est un film magnifique pour qui aura la patience d’aller au bout du film et de se laisser bercer par son rythme.
Peut-être certains resteront insensibles aux thèmes abordés, ne le trouveront pas assez divertissant ou pourront rétorquer que le film n’est pas révolutionnaire sur le plan cinématographique, mais on a bien à faire à un film d’immense qualité. Je ne peux que vous encourager à le voir.