Le Château de l'araignée est une adaptation libre du Macbeth de Shakespeare réalisée par
KUROSAWA Akira, sortie en 1957 et se déroulant dans le Japon féodal.
Dans cette adaptation, les généraux
WASHIZU Taketoki (
Macbeth) et
MIKI Yoshiaki sont convoqués au château de l’araignée par leur seigneur qui veut les récompenser pour leurs faits d’armes. Perdus dans la forêt qui entoure et protège le château, les deux généraux rencontrent une sorcière qui leur dévoile une prophétie :
Washizu deviendra le seigneur du château de l’araignée, puis
le fils de Miki deviendra, à son tour, le seigneur du château. Mise au courant par son mari,
la femme de Washizu incitera ce dernier à accomplir la première partie de la prophétie par tous les moyens.
Kurosawa fut l'un des réalisateurs les plus importants et influents de sa génération, au Japon comme en occident (
George Lucas,
Sergio Leone, ...). Soixante ans plus tard, à l'occasion de la sortie en HD par
Wild Side, voyons si la magie de ce film de 105 minutes en noir et blanc opère toujours.
Le film commence avec le générique de lettres blanches sur fond noir, la musique est hypnotique et angoissante, comme pour une histoire de fantôme.
Première scène, une stèle commémore les événements et batailles survenus dans ce lieu maudit, puis, du brouillard, surgit le château fantôme.
Pour atteindre ce château, nos deux valeureux généraux,
Washizu et
Miki, doivent traverser la forêt qui l'entoure. La pluie et l'orage donnent un aspect sinistre, ils se perdent et s'inquiètent dans cette forêt qu'ils connaissent pourtant bien. Des voix parcourent les branches et, terrifiés, ils se mettent à tirer des flèches et à donner des coups de lance pour se frayer un chemin.
En une scène,
Kurosawa nous montre que le plus valeureux des hommes n'est plus qu'un enfant sans défense quand il est possédé par ses peurs et ses instincts les plus primaires.
Les 30 premières minutes sont pesantes,
Kurosawa utilise les astuces qu'on a plutôt l'habitude de voir dans les films d'épouvantes plutôt que dans un drame ou un film historique (chaque lieu semble hanté, récits d’histoires glauques, montée en tension soutenue par la musique lors de long moments d'attente, etc.).
Kurosawa était amateur de Nô (théâtre japonais classique) et certains ont perçu l'influence de ce style dans son œuvre. Le spectateur, tel le Waki (pèlerin qui interroge un esprit hantant les lieux, le Shite, sur son histoire), arrive en des lieux où de terribles événements sont survenus et entre dans l'histoire comme dans un rêve, pour suivre
Washizu, qui tiendrait le rôle du Shite (personnage principal du Nô autour duquel le drame se déroule). De plus, certains pas glissés des personnages, leur façon d'entrer dans le plan comme on entre sur une scène, ainsi que l'utilisation d'éventails, peuvent rappeler le Nô. Mais le Château de l'araignée n'est clairement pas une adaptation de Shakespeare dans le style Nô, tant ces moments sont fugaces et l'influence ténue.
Sur ce plan fixe, Mifune entre à reculons comme sur une scène de théâtre
Kurosawa propose aussi une autre façon de raconter une histoire. De nos jours, chaque élément est expliqué, et plutôt deux fois qu’une, alors que dans le Château de l’araignée tout est dans la suggestion : un simple regard dérobé sur une trace de sang exprime les craintes, mais aussi la folie et les démons, qui possèdent le personnage. Ici, il est fait appel à l'intelligence du spectateur, ce qui est rafraîchissant de nos jours. Film à la poésie subtile, il faut accepter de se laisser happer lentement par l'étrangeté du récit comme un insecte tombant dans une toile d'araignée.
Le jeu d'acteur est globalement très bon. Même si, à côté de l'interprétation magistrale de
MIFUNE Toshirō, dans le rôle du général
Washizu, et de
YAMADA Isuzu, dans le rôle de sa
femme, les autres acteurs semblent moins éclatants.
Ce film est donc l'occasion de voir
Mifune, le héros samuraï ou rônin, l’image de la virilité japonaise, à contre-emploi, en homme possédé. Ses traits sont tirés, son regard hagard, il possède toujours cet air bravache qui lui est si particulier. Dans ce film, il n'est plus le jeune homme téméraire (
l'Ange ivre), le filou audacieux ou l'homme d'expérience : ses qualités deviennent celles d'un homme qui n'est plus maître de son destin, d'un homme terrorisé qui s'habille de courage comme d’un masque pour garder la face.
Quant à
YAMADA Isuzu, elle a un rôle difficile, presque immobile dans son kimono serré, la plupart du temps à genou, dans une position de femme de samurai soumise à son mari. Elle est néanmoins capable de laisser transparaître une palette d'émotions importante, tout en subtilité, en conservant le côté humain de son personnage, alors qu’elle encourage son mari à la trahison.
Scène d'opposition entre Mifune et Yamada, lui faisant les cents pas dans la salle, elle restant immobile
Malgré toutes ces qualités, le film souffre aussi d'un certain nombre de lourdeurs. Il est trop long, surtout la seconde partie, une fois
Washizu au pouvoir.
Kurosawa montre tout son talent de réalisateur, filmant des mouvements de foules dynamiques, multipliant les cadrages inspirés... tout ça au détriment du film qui accuse des longueurs inutiles, des problèmes de rythme, une perte de fluidité et une dilution de la force de la pièce d'origine par une volonté de trop en faire, trop en montrer.
L'exemple le plus flagrant est l’interminable passage lors duquel l’acteur
Mifune se fait tirer dessus par de vrais archers, sans effets spéciaux, les flèches passant à quelques centimètres de lui. La prouesse technique est incroyable et peu d'acteurs accepteraient de prendre autant de risques à notre époque, mais la scène est totalement inutile d'un point de vue narratif.
La scène des flèches aurait été réussie si elle avait été plus courte
Au final, on n'a pas affaire à un film de guerre mais à un film de fantôme, un drame intimiste, qui respecte globalement l'histoire de Macbeth. Toute la seconde partie du film, le siège du château, est beaucoup trop longue et met en avant les talents et le savoir-faire du réalisateur mais ne sert pas la fluidité de la narration du film.
Un bon film mais pas le meilleur de
Kurosawa. À conseiller aux cinéphiles, amateurs de vieux films, de
Kurosawa ou de Shakespeare. Je recommanderais plutôt Ran, à mon sens bien meilleur que le Château de l’araignée, si vous voulez voir une adaptation de Shakespeare par
Kurosawa.