Après avoir marqué de son empreinte l’histoire du jeu vidéo avec la saga
Metal Gear Solid,
KOJIMA Hideo a décidé de tourner la page en tentant de créer un nouveau genre, rien que ça. Pari réussi ? Entrons dans les détails pour le découvrir.
Death Stranding se déroule dans un futur où l’humanité a presque totalement disparu. Le danger est invisible et oblige les gens à rester cloîtrés chez eux, loin de toute menace. En effet, de mystérieux êtres, appelés Echoués, sont revenus du monde des morts sous forme de fantômes et aspirent ceux qui passent à proximité d’eux, provoquant une grosse explosion ne laissant derrière elle qu’un profond cratère. C’est dans ce monde apocalyptique qu’évoluent les transporteurs, seuls individus suffisamment fous pour s’aventurer dehors afin de livrer des colis et lier ainsi les êtres entre eux. Sam Porter Bridges, incarné par le joueur, est l’un d’eux. S’il accepte de prendre tous ces risques, c’est qu’il a un pouvoir : le DOOMS. celui-ci lui permet de ressentir la présence des Echoués. Afin de renforcer son pouvoir, il va rapidement être accompagné d’un Brise-Brouillard (ou BB), foetus déshumanisé enfermé dans un bocal. Il va également croiser le chemin de nombreux personnages ayant chacun une personnalité forte, et parfois le DOOMS eux aussi, qui vont autant le changer qu’il ne va les transformer lui-même.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’histoire et l’univers de
Death Stranding tant ceux-ci sont riches et complexes, mais nous allons nous arrêter là afin de nous concentrer sur les autres facettes du jeu.
Les images accompagnant cette chronique parlent d’elles-mêmes : le jeu est très beau. Les animations faciales sont particulièrement réussies, ce qui n’était pas acquis d’avance quand on sait que le moteur utilisé est le même que celui d’
Horizon Zero Dawn. Ce constat général est toutefois à tempérer car le paysage, apocalyptique comme décrit plus haut, se montre souvent vide et répétitif. Hideo Kojima s’est servi de l’Islande comme modèle et cela se voit.
Cependant, le plus gros reproche “technique” que l’on pourrait faire au jeu est son manque de vie. En effet, en dehors des quelques personnages que l’histoire vous fera rencontrer, les décors sont, pendant une longue partie du scénario, très solitaires. Les seules âmes que l’on croisera sont appelées les MULEs. Il s’agit d’anciens transporteurs devenus accros à la livraison, et qui vont donc vous mettre des bâtons dans les roues dans le but de voler vos marchandises. Un peu plus tard, vous aurez parfois affaire à d’autres transporteurs, amicaux ceux-ci, avec lesquels il sera possible de faire des échanges.
Un autre reproche rapidement identifiable est lié aux cinématiques contextuelles, celles qui s’enclenchent automatiquement lorsque la pluie commence à tomber, que l’on s’approche d’une zone à Echoués ou encore que l’on accède à un terminal. Force est de constater qu’en plus d’être assez nombreuses, elles peuvent parfois se montrer plutôt longues et réellement couper le rythme du jeu. Heureusement, les dernières mises à jour permettent de les passer.
Depuis le début de la chronique, nous évoquons les livraisons sans réellement nous attarder dessus. Elles sont pourtant au coeur du gameplay.
Les missions se déroulent toujours de la même façon : écouter le briefing, récupérer le ou les marchandises (sur place ou ailleurs) et les livrer. Toujours. C’est probablement ce qui effraie le plus les joueurs à propos du jeu : sa répétitivité. Ne nous voilons pas la face, elle est bien présente. Toutefois, il est important de se montrer plus nuancé car la boucle de gameplay évolue au fil du temps.
En effet, au fur et à mesure des missions, vous allez accumuler des “likes” qui vont vous faire gagner des niveaux. Ces derniers vous permettront, à certains paliers, de porter une masse plus importante de colis, de garder l’équilibre plus facilement ou d’obtenir plus de “likes”. Certaines missions vous permettront même de débloquer des équipements spéciaux, comme une combinaison pour aller plus vite ou un robot pour porter davantage de matériel. Il ne tiendra alors qu’à vous de voir si vous préférez jouer la rapidité ou la quantité.
Dans le cas où vous ne sauriez faire votre choix, vous pourrez opter pour une ultime option : les véhicules. Il en existe deux sortes, chacune ayant une version “grande autonomie” permettant d’aborder certaines missions plus sereinement mais avec moins de colis (une partie de l’espace étant alors occupée par la batterie supplémentaire). Les motos sont agiles et rapides tandis que les camions sont résistants et équipés d’une grande capacité de stockage. Ces véhicules sont toutefois loin d’être la panacée : ils s’avèrent au final peu maniables et ne permettent que très difficilement de passer les zones les plus escarpées. De même, les régions remplies d’Echoués sont à privilégier à pied. Car, oui, souvenez-vous, il y a des ennemis dans le jeu.
Lorsque la pluie commence à tomber, les Echoués font leur apparition. Un radar sort alors de votre combinaison pour vous indiquer dans quelle direction se trouve le plus proche. Plus il est près, plus le radar se montre insistant. Ce dernier fonctionne à l’aide de votre BB. Celui-ci n’est toutefois pas infaillible et, s’il est trop stressé, il cessera de vous porter assistance. Il faudra alors le bercer afin de le calmer. En revanche, si la panique s'empare de lui, vous devrez le laisser se reposer dans un abri jusqu’à ce qu’il soit de nouveau serein. Vous pourrez, tout au long de l’aventure, augmenter votre lien avec lui par diverses méthodes afin d’éviter de le stresser trop rapidement. Tout ceci parait peut-être fastidieux mais vous aurez, en tant que joueur, toute la liberté de vous occuper ou non de votre BB. En tant qu’humain en revanche, vous finirez certainement par vous y attacher.
Si le début du jeu vous obligera à éviter les ennemis pour trouver un chemin libre, vous aurez rapidement accès à des armes pour les renvoyer dans le monde des morts. Fusils et grenades feront alors partie de votre arsenal pour vous sortir de n’importe quelle situation. Tout ceci fonctionne cependant grâce au sang de Sam. Vous pourrez transporter des poches de sang qui feront office de munitions, mais c’est votre barre de vie qui tiendra lieu de substitut lorsque vous serez à court de poches.
Si, toutefois, vous n’arrivez pas à vous défaire de vos ennemis avant qu’ils vous attrapent, la fin sera loin d’être arrivée. En effet, à ce moment, tout l’espace environnant sera recouvert d’une sorte de goudron pâteux dans lequel il sera difficile d’évoluer. Vous pourrez, de nouveau, affronter vos adversaires ou fuir. Si, au bout du compte, vous passez de vie à trépas, vous n’aurez pas d’écran de game over mais un fond marin rempli d’âmes échouées. Vous pourrez alors l’explorer succinctement ou revenir dans la partie, qui vous mettra de nouveau face à vos nemesis du moment. La mort fait ainsi partie intégrante du jeu.
Les MULEs, quant à elles, peuvent être combattues avec des armes similaires existant cependant en deux versions : létale et non létale. Vous aurez également accès à des “liens”, qui sont des cordes permettant d’immobiliser temporairement vos adversaires. Si la méthode plus permanente peut sembler attrayante pour certains joueurs, elle est toutefois à proscrire. En effet, dans l’univers de
Death Stranding, un corps nécrosé finit par exploser. Pour empêcher cela, il faut donc l’emporter à l’incinérateur le plus rapidement possible, ce qui prend du temps et la quasi totalité de l’inventaire.
Le bilan sur les combats est somme toute plutôt mitigé. Si les zones infestées d’Echoués sont stressantes et intenses, celles remplies de MULEs sont bien plus classiques. Au final, on se retrouve souvent à se demander si ces dernières ont leur place dans le jeu, à tel point qu’elles deviennent rapidement une corvée.
Les colis, combinaisons spéciales et armes ne sont cependant pas les seuls équipements occupant l’inventaire de Sam. De nombreux éléments vont permettre d’affronter les terres désolées du jeu. Ainsi, échelles, cordes et autres sprays colmatants (permettant de protéger ou régénérer un conteneur endommagé par l’eau) seront de précieux alliés tout au long du voyage. De plus, vous pourrez transporter de nombreuses ressources permettant de construire des structures telles que des tours d’observation, des tyroliennes, voire même des tronçons d’autoroute ! Ces derniers faciliteront grandement vos trajets en véhicules mais seront très coûteux. De manière générale, tous ces éléments sont éphémères puisqu’ils s'usent avec le temps (même vos chaussures finiront par ne plus avoir aucune utilité). Pour contrecarrer cela, vous pourrez les réparer ou les démonter pour regagner quelques ressources.
Bien entendu, transporter ces marchandises ne va pas se faire magiquement. C’est ici que l’inventaire entre en jeu. Il va donc falloir charger les colis à livrer et tout le matériel nécessaire pour affronter l’environnement et les potentiels ennemis, tout en respectant des contraintes de poids et d’encombrement. La répartition de la masse sera aussi à prendre en compte si vous ne voulez pas que Sam soit en permanence déséquilibré. Pour ce faire, vous pourrez soit tenter de jouer à
Tetris au sein de votre inventaire, soit laisser le jeu le faire pour vous.
Comme il ne vous sera pas possible de transporter en permanence tout ce que vous possédez, des casiers seront à votre disposition dans chaque relais et abris. Toutefois, ceux-ci ne sont pas reliés entre eux. Il vous faudra par conséquent obligatoirement revenir à un point de dépôt spécifique si vous tenez à récupérer une marchandise précise. Il va sans dire que les joueurs atteints de collectionnite aigüe risquent d’avoir le coeur déchiré à de nombreuses reprises au cours du jeu.
Concernant la difficulté, on peut dire que
Death Stranding en est dépourvu. Non seulement la mort n’est pas une fin en soi, mais les affrontements sont au bout du compte assez rares. Même les boss sont plutôt faciles, en plus d’être peu nombreux.
En fait, le jeu est bien plus porté sur la pénibilité. En effet, il est parfois malplaisant d’aller d’un point A à un point B sans véhicule car le terrain est trop escarpé, de traverser des montagnes enneigées où la progression est lente et fastidieuse ou encore de faire plusieurs allers-retours entre deux endroits. Certains détours paraissent démesurés alors que le point de rendez-vous est de l’autre côté d’une rivière. Les chutes, parfois dues à certaines approximations de gameplay peuvent avoir de lourdes conséquences, comme la perte d’une marchandise ou la destruction d’une combinaison cruciale pour la suite du trajet. Les exemples sont ainsi nombreux et peu flatteurs pour nombre de joueurs. Ils sont toutefois contrebalancés par des moments de pure contemplation accompagnés d’une musique douce d’une poésie presque hypnotisante. Là encore, certains trouveront ces passages trop longs, trop lents, trop nombreux. Trop.
C’est là, justement, que se ressent toute la démesure du jeu. Oui, le jeu est parfois répétitif. Oui, le jeu est parfois trop long. Oui, le jeu est parfois pénible. Mais tout ceci a un but, qui se dévoile dans un dernière séquence de jeu où l’on comprend alors que, si l’on a dû endurer des épreuves, c’est pour nous montrer qu’ensemble, on peut aller plus loin, plus vite.
Bien entendu, chaque joueur est unique et d’aucuns n’arriveront pas jusqu’au bout tant ils auront trouvé certains passages fastidieux tandis que d’autres ne se seront pas ennuyés une seconde. Quoi qu’il en soit, tous seront liés par le fait qu’ils auront été marqués, chacun à leur manière, par leur expérience du jeu. Vous n’aimerez peut-être pas ce que vous avez vécu, mais cela ne vous laissera certainement pas indifférent.
Toutes ces explications et élucubrations ne clarifient pour autant ni le titre ni l’intention de
KOJIMA Hideo derrière
Death Stranding. S’il faudra venir à bout des 40 heures de l’histoire principale (agrémentée de nombreuses missions annexes) pour découvrir le fin mot dudit death stranding, on ne peut parler du jeu sans évoquer l’idée de lien qui émane de toute part.
En effet, la quête de Sam Porter Bridges porte sur le désir de relier l’ensemble des Etats-Unis et ses habitants. En allant chez eux, vous aurez ainsi pour mission de les connecter au réseau chiral (sorte d’Internet très évolué). Ce faisant, vous aurez accès aux constructions faites par d’autres joueurs. En effet, surprise, le jeu contient un multijoueur asynchrone. Ainsi, vous ne verrez jamais un autre joueur, mais vous verrez ce qu’il a apporté au monde : des échelles, des tours d’observation, des tronçons d’autoroute, etc. Vous pourrez même parfois trouver des véhicules ou des colis abandonnés. Pour ces derniers, libre à vous de les laisser sur place, de les ramener au relais le plus proche ou de les apporter à leur destinataire final. Vous recevrez alors des “likes” que vous pourrez rendre en retour. Vous aurez d’ailleurs la possibilité d’attribuer des “likes” à des constructions utiles ou amusantes, comme un pont vous évitant un long détour ou un panneau d’encouragement vers la fin d’un parcours particulièrement éprouvant. Vous créerez alors un lien avec un joueur que vous ne rencontrerez jamais et que vous aiderez peut-être plus tard sans même le savoir.
Si l’expérience n’est pas inédite, elle est ici poussée à un niveau jamais vu. Tout nous incite à profiter des éléments mis en place par les autres joueurs et, donc, à faire de même. Au final, on se prend au jeu et on récupère les colis perdus, on distribue des “likes”, on laisse des échelles, on améliore des tronçons d’autoroute, on répare des tyroliennes, on stocke un véhicule dans un garage partagé ou une combinaison spéciale neuve dans un casier lui aussi partagé, etc. On est aidé par les autres joueurs sans l’avoir demandé, donc on aide en retour. Si le jeu solo est porté sur l’aventure et les affrontements, le multijoueur se veut coopératif et collaboratif. L’ensemble fait éprouver un sentiment singulier qu'il serait peut-être bon de voir davantage dans le jeu vidéo.
En conclusion, il s’avère bien difficile de noter ce
Death Stranding. A vrai dire, il est même difficile d'en parler tant il s'agit d'une expérience qui se vit, manette en main.
Si l’objectif de
KOJIMA Hideo de créer un nouveau genre n’est pas vraiment atteint puisqu’on se retrouve ici avec un jeu d’action-aventure en monde ouvert teinté de survie, force est de constater que son multijoueur asynchrone et son parti-pris jusqu'au-boutiste élèvent l’oeuvre au rang d’OVNI jamais vu auparavant.
Cette “simulation de livreur Amazon”, comme aiment à l’appeler ses détracteurs, se montre in fine bien plus profonde qu’il n’y parait dans son gameplay et propose une histoire complexe et prenante portée par des acteurs de renom tous convaincants. Son aspect répétitif, rébarbatif pour certains, en rebutera plus d’un, c’est sûr. Ceux qui passeront outre seront certainement envoûtés par cette véritable déclaration d’amour au jeu vidéo et aux joueurs.