2744. C’est le nombre de jours séparant l’annonce de
The Last Guardian de sa sortie. Une éternité dans le monde du jeu vidéo, à tel point qu’à de nombreuses reprises les fans ont pensé que le projet était annulé, tout en espérant avoir de ses nouvelles à chaque E3 qui passait. Des espoirs restés vain jusqu’à ce jour de juin 2015, le 15 pour être précis, où le jeu a refait surface lors d’une conférence pré-E3 de Sony folle, qui voyait également les annonces tant attendues de
Shenmue 3 et du remake de
Final Fantasy VII. Mais ne nous égarons pas trop et revenons au sujet qui nous intéresse dans cette chronique. Un an plus tard presque jour pour jour, le 14 juin 2016, la date de sortie était officialisée : le 25 octobre 2016. Mais, comme un running gag qui n’en finit pas, le voilà repoussé à moins de sept semaines de sa sortie initiale. Finalement, les fans devront attendre jusqu’au 7 décembre suivant. Et voici donc, 2744 jours après sa première vidéo, le jeu qui débarque enfin sur les étals.
Pourquoi commencer par une introduction si longue et détaillée ? Tout simplement pour dire que le jeu est très attendu, et que Fumito Ueda, le génial créateur d’
Ico et de
Shadow of the Colossus (que nous appellerons par la suite SOTC), n’a pas vraiment le droit à l’erreur après avoir autant joué avec les émotions des joueurs du monde entier. Alors, pari réussi ou cruelle désillusion ?
The Last Guardian nous conte l’histoire d’un petit garçon qui se réveille dans une grotte, à côté d’une créature blessée. Il la soigne et tous deux décident alors de quitter ce lieu, qui s’avère être une immense forteresse à ciel ouvert.
Comme d’habitude avec Fumito Ueda, le scénario peut paraitre simple au premier abord mais s’intensifie par la suite. D’ailleurs, on notera qu’il est cette fois-ci bien plus explicite que par le passé et nous apprendrons presque tous les tenants et les aboutissants de cette histoire au cours de cinématiques. Ceux qui reprochaient à
Ico et
SOTC d’être trop abscons seront ravis de ce revirement.
Notons que, contrairement au premier jeu du créateur nippon, il ne s’agit en aucun cas de protéger la créature qui nous accompagne, appelée Trico. Au contraire, c’est elle qui va s’avérer être un allié indispensable pour s’échapper de cette prison puisqu’elle peut affronter une armée à elle seule et sauter par dessus de gigantesques précipices. Seuls quelques éléments en forme d’oeil effraient Trico, c’est alors à notre personnage de prendre le relais pour le détruire en les poussant dans le vide ou en les détruisant, soit en utilisant le décor, soit en utilisant un bouclier qui émet une lumière vers l’objet que l’on souhaite détruire. Rappelant une mécanique de gameplay de
SOTC (où l’on utilisait un bouclier pour se repérer), le but est ici bien différent puisque l’objet ciblé va être détruit par un laser sortant de la queue de Trico. Cela peut paraitre surprenant, voire choquant, dans un jeu de Fumito Ueda, mais ce laser est au final assez peu exploité et assez bien intégré en terme de mécaniques de gameplay.
En parlant des armes à sa disposition, le jeu en compte peu. En fait, notre personnage n’en a pas, il faudra essentiellement compter sur Trico, et à l’occasion on pourra utiliser des éléments du décor, tels que des tonneaux, pour les jeter sur nos adversaires. La plupart du temps, lorsque la créature n’est pas à nos côtés, il faudra donc ruser pour éviter l’affrontement. A ce propos, ces phases où l’on peut analyser une situation pour savoir comment on va s’en sortir sont très bien faites. Malheureusement, quand nous sommes séparés de Trico, on se retrouve très souvent dans une pièce avec des ennemis qui nous tombent dessus sans réellement avoir le temps de réfléchir à ce que l’on va pouvoir faire, on court donc où l’on peut et on se fait régulièrement attrapé. On peut heureusement se dégager de son ennemi mais ne pas avoir de plan en se lançant dans une pièce ne ressemble pas vraiment au reste du jeu, qui est principalement constitué d’énigmes à résoudre.
Pour ce qui est des ennemis, on en dénombre deux sortes différentes : les armures et les créatures semblables à Trico. Notre personnage ne peut presque rien faire face à eux, mais Trico est prêt à sacrifier sa vie pour le protéger, cela se ressent très bien dans le jeu. Il va donc se mettre dans des situations dangereuses, se blesser, s’exciter, mais notre personnage sera toujours là pour le soigner ou le calmer, en le caressant par exemple. C’est un moyen de renforcer l’empathie envers la créature, mais nous verrons plus bas que cela ne fonctionne pas aussi bien que dans
Ico.
Visuellement, le jeu est somptueux. Il n’est pas exceptionnel par ses graphismes, mais sa direction artistique, très proche des précédentes oeuvres de Fumito Ueda, est sublime. Elle est en outre appuyée par un jeu de lumière très réussi, notamment lorsque l’on passe d’un intérieur à un environnement extérieur.
De plus, les musiques de Takeshi Furukawa se fondent parfaitement dans le décor et sont totalement adaptées aux situations que l’on vit dans le jeu.
De manière générale, l’ambiance sonore est excellente et met en exergue l’omniprésence de la nature, que ce soit par le bruit du vent ou celui des oiseaux.
La poésie est ainsi partout autour de nous, dans chaque plan que nous offre le jeu, de près comme au loin.
Côté animations, le garçon fait énormément penser aux dessins animés japonais typiques, avec des déplacements très exagérés où les jambes semblent décorrélées du reste du corps. Trico, quant à lui, emprunte beaucoup de mouvements et d’expressions aux chats. Par exemple, il se gratte comme eux, il s’étire comme eux, il se met en posture de combat face à un ennemi invisible comme eux, etc.
Le framerate pour sa part souffre par moment de chutes assez lourdes, mais qui ne durent pas.
Il est temps d’aborder un point essentiel du jeu, à savoir le gameplay, et c’est ici que les choses se gâtent.
Comme cela a été dit précédemment,
The Last Guardian consiste principalement à résoudre des énigmes : on entre dans un lieu et on cherche comment en sortir pour accéder au lieu suivant.
Plusieurs points posent problème à ce niveau. Premièrement, la caméra ne suit pas toujours, notamment dans les endroits exigus, rendant l’action difficilement lisible. Ensuite, le gameplay à proprement parler n’est absolument pas intuitif. Par exemple, la touche de saut est le triangle, tandis que la croix est utilisée pour lâcher prise. D’ordinaire, c’est cette dernière qui sert à sauter. Ainsi, dans le feu de l’action, si vous vous appuyez sur vos réflexes, vous allez probablement tomber. A force, on s’habitue mais il est regrettable de ne pas avoir suivi la tendance actuelle, surtout dans les premières heures de jeu.
Enfin, les déplacements sur la créature sont loin d’être aisés, et il arrive fréquemment que l’on se retrouve au sol alors que l’on voulait accéder à sa tête, ou au contraire que l’on ne parvienne pas à s’extraire de la bête. Autre point lié à Trico, dans certains passages où il doit nous attraper alors que l’on chute vers une mort certaine, un problème (de hitbox ou de timing non indiqué, je ne saurais pas dire) fait qu’il ne nous agrippe pas et que la mort certaine se produit.
Le level design oscille lui entre le bon et le moins bon.
Parfois, il fait preuve de réelle ingéniosité et l’on se retrouve surpris de devoir totalement changer de mécanique de gameplay en étant aussi avancé dans le jeu (ceux qui y ont joué auront sans doute compris que j’évoque le passage dans la cage), ou dans une moindre mesure il arrive régulièrement d’être berné en pensant qu’un piège se trouve là alors qu’il est un peu plus loin.
D’autres fois cependant, on saute en croyant pouvoir agripper un élément du décor, mais ce n’est en réalité qu’une texture, ce qui entraine une chute qui peut être mortelle.
Mais le principal problème est, et c’est là où le bât blesse réellement, Trico en lui-même.
Déjà, l’empathie avec la créature n’est pas forcément présente. Le lien qui l’unit au garçon se fait assez rapidement, et l’on découvre vite que l’on va avoir besoin d’elle pour sortir de la forteresse. Là où
Ico proposait de protéger une Yorda d’abord méfiante mais qui apprenait à faire confiance avec le temps,
The Last Guardian fait le pari d’avoir une bête qui se fie à nous dès le début. Ce qui en ressort est surtout le fait d’avoir avec nous un outil qui va nous protéger et nous aider à nous déplacer pour sortir. Certes, Trico cherche des caresses et plusieurs passages montrent son dévouement envers notre personnage, mais cette première impression d’utiliser la créature à ses propres fins uniquement ne disparait jamais complètement.
De plus, il est possible, au bout d’un certain temps, de donner des ordres à Trico (avancer, sauter, grimper), renforçant l’idée qu’il n’est pas notre égal mais notre subordonné.
C’est sans doute pour amenuiser cette sensation que Fumito Ueda a décidé que la créature devait agir par elle-même et ne pas toujours écouter nos ordres. L’idée, plutôt intéressante au début, s’avère rapidement frustrante. En effet, il arrive régulièrement que l’on sache quoi faire dès que l’on arrive dans une nouvelle salle, mais lorsque vient le moment d’indiquer cela à Trico, celui-ci refuse de s’exécuter. Il faut alors attendre, parfois très longtemps (plus de trois minutes), avant qu’il décide de faire ce qu’on lui demande. Si, par malheur, vous avez pensé entre temps qu’il ne devait pas s’agir de la bonne solution et que vous avez commencé à chercher une alternative, il y a des chances que Trico s’en aille sans vous. Il ne vous restera alors plus qu’à le rappeler, grimper sur lui, lui donner l’ordre de repartir et attendre, encore. Dit comme cela, l’idée parait amusante, mais répétée tout au long du jeu, elle est surtout frustrante, voire énervante, un peu comme une blague qui s’éternise.
The Last Guardian VR, c'est quoi ?
Quasiment un an jour pour jour après la sortie du jeu, Sony a mis à disposition une démo en réalité virtuelle de The Last Guardian, téléchargeable gratuitement sur le Playstation Store.
Durant une dizaine de minutes, l'expérience nous propose de nous plonger dans l'univers onirique créé par Fumito Ueda de manière bien plus immersive que le jeu de base. Ainsi, tout parait plus grand, plus majestueux, à commencer par Trico qui impressionne dès les premières secondes, notamment lorsqu'il approche sa tête pour réclamer des caresses.
Les contrôles ont été simplifiés pour ne proposer que les possibilités d'appeler l'animal et d'attraper ou de lancer un objet, le tout avec la touche X qui s'adapte selon le contexte. De même, les déplacements se font ici par téléportation, en appuyant sur la même touche X lorsqu'une icône apparait.
Les énigmes ont disparu puisque la démo propose simplement de nourrir Trico afin de progresser dans un niveau qui commence en intérieur pour nous emmener en plein air vers la fin.
Enfin, visuellement, l'aliasing, fort présent, pourra déranger les plus réticents à la réalité virtuelle, notamment dans les environnements extérieurs.
S'il ne faut bien entendu pas y voir l'adaptation VR de The Last Guardian, ni même un jeu à part entière, cette démo a pour mérite de nous faire découvrir l'univers du jeu d'une autre façon, bien plus immersive, qui donne toute sa grâce et sa force à Trico et nous fait l'apprécier davantage. A conseiller à ceux qui ont aimé le jeu de base comme à ceux qui l'ont détesté ou n'y ont pas joué.
En conclusion, que penser de
The Last Guardian ? Malheureusement, malgré un temps de développement très (trop ?) long, il n’est pas à la hauteur de ses prédécesseurs,
Ico et
Shadow of the Colossus. Le jeu veut clairement nous enseigner la patience et l’importance de prendre son temps pour admirer les choses de la vie quotidienne, mais à trop vouloir forcer le joueur, il le frustre plus qu’autre chose. En jouant, on a parfois l’impression d’assister à une immense cinématique où l’on ne fait qu’observer sans agir. Souvent, on est sur le dos de Trico qui saute de plateformes en plateformes, et pendant ce temps (qui peut dépasser la minute), on ne peut rien faire d’autre que regarder le paysage autour de soi. Ce dernier est certes magnifique, mais il est aussi assez redondant sur la longueur, d’autant plus que certains lieux sont réutilisés par la suite.
Sur la fin, d’ailleurs, on retrouve également certaines situations, qui font que le jeu commence à tourner un peu en rond sans chercher à se renouveler. Heureusement, la dernière scène est épique et, même si l’on ne participe pas énormément, on apprécie un spectacle grandiose et extrêmement glauque.
Au fil des heures, finalement, on apprend à apprivoiser le jeu, à moins que ce ne soit l’inverse, et l’on profite davantage de ses paysages oniriques à souhait. Ainsi, on comprend le level design, le fait qu’il faut être patient avant que Trico ne daigne bouger et le fait que l’on doit prendre son temps pour progresser. Sur ce point, il est intéressant de constater que terminer l’aventure en moins de 30 heures vous vaudra un trophée de bronze (en plus du trophée pour avoir fini l’histoire), alors que j’ai personnellement pris moins de 13 heures pour boucler le jeu, en prenant mon temps. On voit bien que le but ici n’est pas de se précipiter mais de savourer.
Fumito Ueda lui-même semble avoir du mal à dire au revoir à son jeu qui, dans ses derniers instants, continue de raconter des choses, y compris après le générique. Comme si, après dix années à concevoir son bébé, le créateur ne pouvait se résigner à le laisser partir. A croire que, dans ce délicat procédé, il a parfois oublié un composant essentiel à tout jeu : le joueur.