La confrontation d’univers farouchement opposés à l’issue de nouvelles rencontres est un sujet toujours intéressant. Il a déjà été abordé avec les extraordinaires Nana, Kids on the Slope ou encore Terror in Resonance. On apprécie toujours leur côté tranché, les chemins qui s’ouvrent aux personnages, en trépignant toujours de savoir quelle direction ils préféreront. Dans Banana Fish, les opposés s’attirent, apprennent à se contredire et s’entraînent l’un et l’autre vers une lumière inattendue.
Synopsis :
En 1973, au Viêtnam, un soldat américain perd la tête et tire sur ses camarades. Dès lors, il ne parle plus, si ce n'est pour laisser échapper parfois ces deux seuls mots, “Banana Fish”. Douze ans plus tard, à New York, la police enquête sur une série de suicides pour le moins douteux. Un jour, un homme est abattu froidement dans la rue et, avant de mourir, remet à un jeune chef de bande nommé Ash une mystérieuse substance. Quel lien y a-t-il entre ces morts suspectes ? Ash tente de découvrir la vérité. Déjà un classique signé Akimi Yoshida.
-Panini-Note : avec cette adaptation en anime, certains événements ont été recontextualisé à notre époque. Par exemple, la guerre du Vietnam a été remplacée par la guerre d’Irak, les moyens de télécommunications ont été remaniés…
Banana Fish, c’est la rencontre hasardeuse entre Eiji et Ash, deux jeunes hommes dont les univers, nous l'avons dit, sont totalement opposés. Eiji est Japonais et assistant d’un photographe venu à la rencontre d’Ash, un chef de gang new-yorkais, aussi beau que dangereux. Dès le premier instant, on saisit le caractère de chacun : douceur et violence. Là où leur dualité se révèle particulièrement intéressante, c'est qu'elle est très loin d’être manichéenne. Leurs forces autant que leurs faiblesses sont mises en exergue, dévoilant deux hommes en quête d’eux-mêmes. C’est d'ailleurs en se plongeant dans le monde de l’un et de l’autre qu’ils combleront leurs failles et ressortiront plus forts de leurs affrontements. Bien sûr, les archétypes sur lesquels leur personnalité est fondée ne font aucun doute et sont respectés de bout en bout. Toutefois, YOSHIDA Akimi, autrice du manga, s’octroie le luxe d’arriver à les faire évoluer grâce à de simples étincelles glissées çà et là dans le scénario.
Toutefois, un déséquilibre subsiste : l’ambiguïté de leur relation. Entre bromance ultime et pur amour, on vacille de l’un à l’autre, sans trop savoir sur quel pied danser. On peut affirmer sans risque que l’on retrouve les codes du Boy’s Love, dans les thématiques abordées, les archétypes des personnages, jusque dans la relation dominant/dominé, sauveur/sauvé des héros. De même, certains personnages parlent de leur amour, puis ressassent qu’il s’agit d’une amitié… Leur relation manque un poil d’éclaircissement à mon goût. L'on peut aussi tenter de replacer le manga dans son contexte historique, publié dans les années 1980, une époque où il était difficile de présenter un Boy's Love en tant que tel, d'autant plus dans un magazine de prépublication shōjo. Dans tous les cas, on pardonne facilement ce défaut, car on se délecte de leurs conversations, leurs disputes et des moments où ils se sortent des mauvaises passes.
Un duo en phase ©YOSHIDA Akimi ©MAPPA ©Amazon Prime
Et, bon sang, on peut dire que l’on est tombé sur les rois de l’embrouille. Dans un contexte américain où les gangs flirtent avec la corruption et la mafia, la violence se trouve à chaque coin de rue. Empêtré dans un complot dont il n’imagine pas l’ampleur, Ash doit sortir toutes ses griffes pour espérer survivre dans un monde qu’il ne connaît que trop bien. On le perçoit dans son comportement, dans la maîtrise de sa voix : il ne laisse jamais rien au hasard. Et cette précaution vaut pour tous les camps car n’importe quel faux-pas peut leur être fatal. Entre pressions psychologiques, prises d’otages et corruptions, chacun cherche à maîtriser l’autre en usant de tous les moyens possibles. Ce qui rend le milieu d'autant plus réaliste, c'est que la violence de ces gangs n’est en rien négligée, de même que les réseaux et marchés gérés par la pègre : les balles traversent les corps, les couteaux tranchent des gorges et la perversité est développée dans ses pires dérives… On n’épargne personne. C'est aussi ce qui nous permet de nous rendre compte du décalage entre les deux héros : Ash avance tranquillement dans ce monde, n'a pas peur des rencontres et affronte la mort sans hésiter ; alors qu'Eiji est constamment en quête de repères pour tenter de suivre le rythme et de ne pas être un boulet. En plus d'apporter de la crédibilité au scénario, ce décalage apporte davantage de relief aux héros, leur personnalité se développant au fil des événements et non pas des rôles qui leur sont imposés. Dommage que cette crédibilité soit entachée par certaines facilités scénaristiques qui sautent aux yeux avec, par exemple, des fusillades en plein centre-ville mais sans aucune intervention policière. Néanmoins, on pardonne à nouveau, car ce défaut profite au dynamisme de cette histoire qui en devient addictive.
Quels sont tes secrets, petite poudre ? ©YOSHIDA Akimi ©MAPPA ©Amazon Prime
Dans Banana Fish, tout s’enchaîne sans attendre. Il faut dire qu’il aurait été décevant pour un anime de vingt-quatre épisodes et qui concentre un manga de dix-neuf tomes d’être lent. La concentration est telle que l’on sent que quelques éléments nous échappent et que tous ne se lient pas avec autant de fluidité que ce que l’on aimerait. Bien sûr, on relève facilement que le parti a été pris de mettre l’accent sur la relation entre les protagonistes ainsi que sur celles de certains rôles secondaires. Ces tranches de vies sont d’autant plus appréciables qu’elles permettent de s’attacher davantage aux personnages, de mieux apprécier les scènes clefs et de faire fi des petites faiblesses de scénario.
Il est absolument inévitable de souligner la finesse de l’escalade des enjeux. La quête d’Ash s’amplifie petit à petit pour affronter de plus gros poissons (c’est le cas de le dire !). Tous les secrets du "Banana Fish" vont entraîner l’enquête dans des travers de plus en plus importants, sans jamais discréditer l’histoire. L'affaire en général est aussi passionnante à suivre car, en tant que spectateur, on bénéficie des connaissances de tous les camps, sans pour autant qu'ils partagent tous les mêmes informations. Et celles-ci forment le cœur de l'histoire, de la quête du "Banana Fish" dans son entièreté. On verra les héros comme les ennemis se planter, expérimenter, lutter pour la sauvegarde de leurs savoirs. La mise en scène est aussi intéressante à ce niveau-là, car elle est souvent à l'image des personnages. En tant que spectateur, nous apprenons les faits de manière différente selon si ses acteurs sont francs, rusés, mesquins, pervers. Propre.
Par contre, si Banana Fish souffre d’un point faible, ce sont ses antagonistes. Bien que puissants au sein de l’univers, il leur manque un réel charisme pour attiser notre intérêt ou notre empathie. De même, quand certains ne manquent pas de complexité, ce sont leurs réactions en décalage avec leur expérience ou leur poste qui leur font défaut. Ils cumulent aussi les vices sans limite, tombant parfois dans des excès trop remarquables. Face au charisme inébranlable d’Ash, renforcé par la personnalité réservée mais indispensable d’Eiji, ces ennemis semblent mornes, vaincus avant même d’avoir combattu.
C'est qui le patron ? ©YOSHIDA Akimi ©MAPPA ©Amazon Prime