Cette histoire est pour toi est un roman de science-fiction de
HASE Satoshi sorti en 2009 au Japon et publié récemment par les jeunes éditions
Atelier Akatombo, spécialisées dans la littérature japonaise.
Vous connaissez peut-être l’anime
Beatless (2018) du studio
Diomedea et disponible en France via
Amazon Prime Video. Si c’est le cas, vous avez mis un pied dans le monde de
HASE Satoshi, car le scénario est tiré de l’
un de ses romans. Membre de la société d’intelligence artificielle du Japon, l’écrivain est un vrai passionné et travaille à mi-temps dans un laboratoire dédié à la relation entre intelligence artificielle et langage naturel. Le roman
Cette histoire est pour toi en parle également, nous immisçant dans le quotidien de Samantha Walker, à la tête d’une entreprise étudiant les neurones artificiels. Il s’agit d’un sujet tout à fait d’actualité, puisque
des chercheurs ont développé les tout premiers neurones artificiels qui pourraient permettre de lutter contre l’insuffisance cardiaque et la maladie d'Alzheimer en agissant sur le cerveau.
Synopsis de l’éditeur :
A la fin du 21ème siècle, Samantha dirige une entreprise qui développe un langage pour systèmes nerveux artificiels. L'objectif est de donner à un être virtuel, Wanna Be, la capacité d'écrire un roman. La tâche est ardue, notamment parce que certains mots recouvrent des concepts perçus de manière très différente d'un individu à un autre. Le mot "colère", par exemple. La question de savoir si une entité artificielle pourra comprendre et exprimer finement nos émotions reste entière. Quand Samantha apprend qu'elle est atteinte par une maladie incurable, elle décide de consacrer à son travail les quelques mois qui lui restent à vivre. Peu à peu, Wanna Be se met à lui raconter une histoire…
Je ne peux commencer sans évoquer le prologue un peu brutal, qui nous décrit une scène se passant chronologiquement à la fin du tome. Cette image nous hante un peu au fil de l’histoire centrée sur
Samantha Walker, jeune et dynamique dirigeante de Neuro-Logical, qui s’étalera sur un an. Une année cruciale pour elle, car son entreprise s’apprête à faire un gros pas en avant, et démarre la première entité virtuelle qu’elle nommera
Wanna Be, une réplique d’un cerveau doté de neurones artificiels. Nous assistons ainsi à la naissance de cette intelligence, qui se déroule d’une manière à la fois enthousiaste et étrange, voire inconfortable, puisque ses premières questions sont déjà existentielles : “En quoi puis-je vous être utile ?” “À quoi est-ce que je sers ?”. D’abord enthousiaste, comme un être qui découvrirait un nouveau monde, il perd vite de son énergie en prenant déjà conscience de sa position vis-à-vis de l’équipe scientifique qui l’a démarré. Samantha est particulièrement froide avec lui : après tout, il ne s’agit que d’une expérience et d’une machine, conçue pour écrire un roman, les émotions dont il semble pourvu ne sont qu’une image virtuelle du langage qui lui a été implémenté.
C'est pour cette raison que les échanges entre Samantha et Wanna Be sont intéressants. Le point de vue de Samantha fait qu’elle ne le voit que comme une
machine qui répond à un besoin, ainsi elle reste très froide et distante. Wanna Be est touchant, l’on sent qu’il veut bien faire et qu’il cherche l’approbation de sa “maman”, car c’est ainsi qu’il voit Samantha, le premier visage qu’il a vu. Chaque échange donne de la nouvelle matière à Wanna Be pour développer un nouveau point de vue et écrire un nouveau roman, en améliorant son style ou en changeant de genre. Lorsque Samantha découvre sa maladie, elle
jalouse sa création, cette entité qui n’a pas de corps, qui ne peut souffrir comme elle et qui ne peut l’imaginer, employant alors des mots durs à son égard. Pourtant, Wanna Be semble rester imperturbable et essaie toujours de s'améliorer sur la tâche qui lui a été confiée.
La maladie dont est atteinte Samantha est vraiment
horrible et soumet son corps à de terribles souffrances et des comportements qui la dégoûtent. L’on subit en même temps qu’elle les détails froids, bruts et sans filtre que nous livre
l’auteur. Cela renforce l'envie de la scientifique de tout transcender, de devenir elle-même une machine pour fuir un corps qu’elle ne supporte plus. Elle a encore tant à vivre et perd peu à peu l’espoir et les rêves de sa vie qu’elle voit s’envoler au fur et à mesure que sa maladie l’accapare. Pourtant, elle veut encore se
battre pour son travail et ses recherches, et souhaite plus que quiconque laisser une trace dans l’histoire de l’intelligence artificielle. Son corps la met peut-être dans des états incompréhensibles, mais son cerveau est intact et sait encore réfléchir. Mais la société, dont elle est pourtant à la tête, la
rejette. Sa maladie met à mal l’image de l’entreprise et le conseil veut l’écarter au plus vite, afin de remettre à sa place une jeune femme dynamique à l’image parfaite...
Samantha ne vit que pour son boulot, elle n’a aucun ami, aucune envie d’avoir une vie amoureuse. Même si nous rencontrons sa famille à un moment, l'instant ne réussit pas à émouvoir le lecteur, qui ne la voit toujours que comme une personne égoïste, froide et distante. Seul son lien avec Wanna Be, de plus en plus
précieux et tendre alors que la maladie transforme Samantha, parvient à nous toucher. L’IA, par son incompréhension mais sa tentative de comprendre, émeut plus que la famille bornée de Samantha, et c’est un triste constat pour l’humanité.
Même si elle parvient tant bien que mal à rester au sein de l’entreprise pour continuer ses recherches, ses interactions ne vont bientôt plus se limiter qu’à celles avec Wanna Be. On assiste ainsi aux
tourments de Samantha qui tente d’échapper à l’irrémédiable, se cherche un but à court terme. Wanna Be reste présent et n’a toujours en tête que la recherche de l’approbation de sa créatrice. Les sentiments de l’un et l’autre vont peu à peu évoluer, certes très lentement, et l’on se demande si Wanna Be ne serait pas plus qu’une
machine, et si ses émotions ne seraient pas tout bonnement réelles. Car à quoi sont dues les émotions d’un
humain ? Elles ne sont que des réponses précises à des stimuli à une situation résultant d’une suite d’expériences qui ont forgé une certaine personnalité. La base des émotions n'est alors que la communication entre les neurones du cerveau, mécanisme qu’ils ont su reproduire… Alors, Wanna Be peut-il être considéré comme un être doté d’émotions ? Peut-il vraiment comprendre ce que traverse Samantha ? S’inquiète-t-il également de la
mort ?
Il ne faut pas avoir peur des descriptions scientifiques et des nouveaux termes inventés par l’auteur. On sent toute sa passion et les recherches qu’il a effectuées pour être extrêmement précis et nous plonger dans une alternative qui pourrait bien être réelle dans plusieurs décennies, parfois un peu trop à l’excès. Le soucis de la précision amène une certaine
lourdeur, voire une répétition, qui lasse un peu quand on atteint la dernière partie de l’histoire. J’avoue en avoir été un peu déçue justement. L’histoire donne finalement l’impression de tourner en rond, entre Samantha qui tente d’échapper à sa maladie, de faire quelque chose à son boulot, et Wanna Be qui écrit encore quelques histoires.
Cette histoire est pour toi est un roman que l’on apprécie de découvrir et qui nourrit le lecteur. L’auteur
HASE Satoshi nous propose une alternative culturelle où l’intelligence artificielle n’est pas l’instigatrice de menaces sur l’espèce humaine mais juste une accompagnatrice dans leur vie, où elles sont configurées pour améliorer le quotidien des humains et les satisfaire. Les échanges entre
Samantha Walker, la scientifique, et
Wanna Be, sa création, sont précieux et alimentent des interrogations philosophiques chez le lecteur. Même si l’on peut lui reprocher un peu de lourdeur dans la dernière partie, l’envolée jusqu’alors vaut bien un peu de lecture.